Par Abdelhamid GMATI Le gouvernement, secondé par l'ANC, a réduit le budget de la culture. Le ministère de la Culture ne disposera que de 170,735 millions de dinars sur les 26 milliards 342 millions de dinars du budget de l'Etat pour 2013, soit 0,64%. Les 179,139 millions de 2012 subissent donc une réduction de 4,7%. Le recul concerne les frais de développement (-30,2%) à 48,7 millions de dinars alors que les frais de gestion passent à 121 millions de dinars (+11,7%). A titre de comparaison, rappelons que le dernier budget de l'ère du dictateur, adopté par l'ex-chambre des députés en décembre 2010 pour l'année 2011, octroyait à l'ex-ministère de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine 189,303 millions de dinars répartis ainsi : 87,577 millions de dinars pour les dépenses de gestion, 101,626 millions de dinars pour les dépenses de développement et 100 mille dinars des fonds spéciaux du trésor. C'est dire si le monde culturel est aujourd'hui en émoi. Pourtant... En mars 2012, l'actuel ministre de la Culture parlait d'une augmentation du budget de son ministère de 190 mille dinars par rapport à celui 2011. M. Mahdi Mabrouk détaillait son budget ainsi : 36% iraient aux manifestations culturelles ; les festivals nationaux bénéficieraient d'une augmentation de 1 million de dinars (8 millions 160 mille dinars au total) ; le budget du 7e art serait également augmenté (200 mille dinars, soit 5 millions, 300 mille dinars au total) ; le théâtre aurait ses 13% du budget, soit 3 millions 100 mille dinars ; l'édition de livres ainsi que les arts plastiques ne seront pas oubliés et seront également soutenus avec des augmentations à leurs budgets. Le ministre a également parlé des subventions octroyées aux espaces culturels privés, aux 400 festivals prévus, de la Cité de la culture ainsi que d'un musée consacré à Habib Bourguiba et d'une maison de la culture à La Marsa en hommage aux réformistes et oulémas de la ville. Il a annoncé la création d'une caisse de développement culturel et d'une caisse de la dignité prévue pour aider les artistes dépourvus de ressources financières suffisantes. Il accompagnait ses propos par une référence éthique affirmant que tout se fera dans la transparence et «qu'il n'y aura plus ni corruption ni malversation dans le domaine de la culture». Soit. Quelque temps plus tard il affirmait : «Le budget va être prochainement discuté à la Constituante mais on va garder la même somme que celle qui était prévue pour 2012. Nous avons même prévu des augmentations pour le théâtre, le cinéma et, la plus importante, pour la chanson qui devrait passer de 240 mille dinars à 400 mille dinars». Que s'est-il passé alors pour qu'il accepte que le budget de son ministère soit fortement réduit ? Les agressions contre les artistes et les manifestations culturelles ne se comptent plus depuis quelques mois. Loin d'être des faits isolés commis par des groupuscules extrémistes, ces événements ont été délibérés et procèdent d'une volonté politique et idéologique visant à marginaliser les arts et la culture en général et à appuyer les initiatives religieuses. Les espaces culturels sont occupés par des groupes hostiles et étrangers au fait culturel. Alors qu'on sape dans le budget de la culture, on augmente celui du ministère des Affaires religieuses (+13%). On parle de la construction de nouvelles mosquées et on encourage la création d'écoles coraniques. Combien de théâtres ou de salles de cinéma sont programmés ? Même la Cité de la culture, décidée depuis des années, ne figure pas dans les programmes. On multiplie les fatwas et on annule des spectacles et des manifestations culturelles. La dernière foire du livre est significative de la médiocratie que l'on veut instaurer : des livres de faible niveau intellectuel et culturel, des produits étrangers à la littérature et à la culture (encens, kamis, foulards et charlatanisme). Tout pour le culte et rien pour la culture. Il ne faut pas s'y tromper, ce n'est pas fortuit. Le ministre de la Culture ne défend-il pas une approche «réaliste» de la création en soutenant : «Oui à la liberté d'expression mais dans le respect du sacré»? Le gouvernement n'a pas cessé de menacer les artistes, les créateurs, les journalistes et à vouloir restreindre les libertés de création et d'expression en brandissant le respect du sacré. Sans définir exactement ce qu'est le sacré. Ben Ali n'aimait pas non plus ces libertés. De la culture, il en avait fait un moyen de propagande et de divertissement et il l'avait réduite à la médiocrité. Le nazi Goebbels tirait son revolver dès qu'il entendait parler de culture. En brandissant le sacré, le gouvernement de la Troïka veut-il islamiser la culture ? M. Mahdi Mabrouk, ministre de la Culture dans ce gouvernement, déclarait au mois de juin dernier, à une chaîne arabe que «celui qui appelle à islamiser la culture est soit un imbécile soit un idiot». On ne saurait si bien dire.