Deux ans après le 14 janvier 2011, beaucoup de questions soulevées à la suite du départ précipité du dictateur déchu et du climat de panique qui a régné ces 15, 16 et 17 janvier n'ont pas été résolues. Certes, prise dans le tourbillon de l'actualité politique brûlante et trop dense, la société civile tunisienne a peut-être oublié de réclamer le droit d'accès à ces vérités fondatrices de l'étape historique qu'augure la révolution... La vérité est une chaîne, un processus, une attitude. Si on s'abstient encore à révéler ce qui s'est passé réellement le 9 avril 2012 ou le 14 septembre 2012, c'est parce que l'on a pris le pli du lourd silence officiel imposé depuis ce 14 janvier 2011. En attendant que la justice transitionnelle, en protégeant les témoins qui continuent à se taire, fasse la lumière sur cette étape de notre histoire, voici les résultats de notre enquête sur deux des intrigues de la révolution. L'armée a tiré : vrai ou faux ? Vrai ! Ce sont les chiffres qui l'attestent ! Dans leur livre sur les évènements du 14 janvier intitulé «L'enquête», actuellement sous presse, Abdelaziz Belkhodja et Tarak Cheikh Rouhou ont poursuivi, une année durant, le travail de la Commission Bouderbala quant à l'investigation sur les circonstances de la mort des martyrs de la révolution. Leurs recherches démontrent, que si l'armée dont la mission à partir du 7 janvier 2011 jusqu'à l'installation du couvre-feu cinq jours plus tard, s'est limitée à la sécurisation des institutions de souveraineté nationale attirant ainsi la sympathie de la population dont la haine contre les forces de la police est allée crescendo depuis le déclenchement de la colère populaire, elle a changé après le 14. Dès lors, l'armée n'est plus pacifique ! Le 15 janvier, on compte, d'après l'enquête des deux auteurs, 34 morts par balles, dont 20 tués par l'armée, 8 par la police et 6 par des inconnus. Le lendemain, sur les 18 martyrs, 10 ont été tués par l'armée. Le 17, le bilan est aussi lourd : 8 morts dont 6 de la responsabilité de l'armée... C'est lors du couvre-feu que les soldats ont tiré. Avec une arme de destruction massive, une arme de guerre, les Styer : «Et même si parfois, les soldats ont visé les jambes, les balles des Styer tuent en ricochant», note Tarak Cheikh Rouhou. Certains officiers inexpérimentés, des élèves de l'Académie militaires appelés en renfort pendant l'état d'urgence ont-eux, tiré à coups de rafales entières, trop vite. Par peur probablement... Dans le livre du journaliste Pierre Puchot, «La révolution confisquée» (Actes Sud, avril 2012), Hela Ammar, juriste et membre de la Commission Bouderbala témoigne : «...Il est clair que les soldats, peu habitués à faire respecter l'ordre public, ont commis de nombreuses erreurs tragiques pendant la période de couvre-feu... Mais personne ne souhaite cependant communiquer sur ces évènements de peur, nous répond-on au sein de l'armée comme au ministère de l'Intérieur, que la fureur de la population fasse basculer le pays dans le chaos». «Les snipers sont une rumeur ?». Plutôt vrai ! Pourtant cette déclaration formulée par Beji Caïd Essebssi alors qu'il était encore Premier ministre a été accueillie avec un certain scepticisme, notamment par les journalistes. Beaucoup d'encre avait déjà coulé sur ces unités très spéciales, qui existent réellement au sein de l'armée, de la Brigade anti-terroriste (BAT), de la Garde présidentielle et de la Garde nationale. Les hypothèses les plus fantaisistes ont circulé sur ces tireurs d'exception, dont le nombre en réalité est très réduit. A Kasserine, des témoins ont assuré avoir vu une femme kannassa (sinper), aussi belle qu'une sirène. D‘autres ont indiqué avoir entendu les snipers parler hébreu...Il s'est avéré que l'homme en fuite, portant sur le dos une mitraillette capté par la caméra d'Envoyé Spécial à Kasserine fait partie de la garde frontalière. Un des membres de la Commission chargée des investigations sur les dépassements et les violations, qui a auditionné des centaines de blessés, a assuré avoir recueilli trop peu de témoignages crédibles à ce sujet. L'étude balistique elle a révélé deux cas seulement de victimes de sniping provenant de... l'armée. Paradoxalement, c'est la psychose nommée snipers ajoutée à un manque flagrant de coordination entre les diverses forces de sécurité qui a beaucoup plus tué, que les tireurs d'élite eux-mêmes. Plusieurs batailles rangées entre militaires et unités d'intervention ont éclaté sur les toits des bâtiments de la ville de Tunis notamment, chacun croyant que l'autre fait partie des kannass tueurs... Mais qui avait intérêt à provoquer la panique ?