Il y a 31 ans, la Tunisie des arts et de la culture perdait une de ses figures les plus marquantes. Mohamed Jamoussi, grand poète et parolier, chanteur et compositeur, comédien et producteur, nous quittait, laissant un vide difficile à combler. Sfax, la capitale du Sud, où il vit le jour de 10 juillet 1910, lui rend ces jours-ci, un vibrant hommage. Fils de Mohamed Jamoussi et Aïcha Abbès Hachicha, il intègre tout jeune l'école primaire Kamoun. En 1926, il décroche le certificat d'études primaires. Après les études secondaires, il s'installe à Tunis pour suivre des études techniques au lycée Emile-Loubet, en face de l'hôpital Charles-Nicolle. C'est un diplôme en mécanique qu'il va obtenir. En 1933, il décroche un poste à la Sncft (Société des chemins de fer tunisiens). Féru d'Alfred de Musset, le chantre du romantisme, le jeune homme était un rêveur-né, un créateur à l'inspiration féconde. Sa rencontre avec Béchir Ressaïssi, le fondateur de la première maison de disques en Tunisie (Oum El Hassen) va se révéler déterminante pour sa vie et son œuvre. A Paris, où il se rend, il enregistre une chanson tripolitaine, puis sa première chanson écrite et composée par ses propres soins Biladi ya biladi, mahlek ya biladi, puis Soukoun ellil, Ya lil mahla qamarek (la nuit l'inspire, comme on le constate), Ya moulaïn bezzine, Ghani âla Chahla wa samra, suivront... Ayant fait sa connaissance au cabaret Baghdad, à Paris, Jamoussi compose pour Safia Chamia Mahla Kaddek, Ya kalbi mazelt sghir. En 1946, «dix ans d'exil suffisent», se dit le poète-chanteur. Il rentre au pays et s'installe dans la campagne qui lui inspire Ould et badaouia, Fatma wa Hamada, Qisset el ôuyoun. Prenant en main de jeunes voix qui faisaient leurs premiers pas, il écrivit pour Mabrouk Yi taouil omrek ya émima, pour Safoua Zina et Errabia, pour Mohamed Jerrary Kahouaji idour. Il écrit et compose également des chansons pour Ahmed Hamza, Mohamed El Euch et autres... Mohamed Jamoussi joue au théâtre et compose la musique des pièces Amiratou El Andalouss, Abderrahmane Ennaceur. Il joua le premier rôle dans le film Onchoudatou Mariam (le chant de Myriam) où il interprète sept chansons composées par Ali Riahi. Rencontre avec Youssef Wahby Jamoussi sera par la suite nommé directeur artistique de l'Opéra d'Alger où il se fait remarquer par le doyen du théâtre arabe Youssef Wahby, qui lui propose de prêter sa voix dans un film. Il chante ainsi dans Nahed qui réunit Youssef Wahby, Rakia Ibrahim et Mahmoud El Melliji. Jamoussi multiplie les présences sur le grand écran jusqu'à la révolution du 23 juillet 1952, conduite par les Officiers libres. Il se rend en Europe où il joue dans des films italiens dont Le chevalier de la main rouge aux côtés de René Saint-Cyr. A Paris, il joua dans Le trésor de la jungle, un film hindou avec le grand comédien Sabu. Avant de partir pour un monde meilleur, Jamoussi publie ses mémoires et écrit un recueil de poèmes en français Le jour et la nuit. La mort le surprend le 3 janvier 1982, alors qu'il projetait d'enregistrer une chanson Tfakkart madhina (je me suis rappelé notre passé) dont il écrivit les paroles, en plus de la composition musicale. Projet avorté Sa vie durant, Mohamed Jamoussi ne chante que ses propres paroles et ses propres compositions. L'unique exception consiste en les sept chansons du film Onchoudatou Mariam qu'il doit à Ali Riahi. Il devait effectuer une tournée en Afrique du Nord en compagnie de Sabah. La révolution égyptienne de 1952 fera tomber ce projet à l'eau. En plus du français et de l'arabe, l'enfant de la capitale du Sud maîtrise également l'italien. Il a d'ailleurs été le premier artiste tunisien à parler couramment la langue de Dante. Il incarne au bout du compte l'image d'un artiste complet et éclectique, embrassant avec un même bonheur le chant, la poésie, la composition, le théâtre et le cinéma.