Par Khaled TEBOURBI Ils en rajoutent sûrement, nos amis d'«Envoyé spécial» quand ils proposent un tableau aussi morose et aussi pessimiste de la Tunisie de l'après-révolution (jeudi 17 janvier, France 2). Trop. A beaucoup d'égards même ce qu'ils disent et ce qu'ils montrent est faux. Les bistrots fonctionnent toujours «à plein régime» en Tunisie. Sauf dans quelques cas isolés, anecdotiques, à l'intérieur du pays, et qui n'ont pas eu de suites du reste. Si c'est cela faire de l'investigation, de l'enquête de terrain? Les bistrots fonctionnent. Les mosquées aussi. Rien n'a pratiquement changé depuis 60 ans. Ce pays reste tolérant envers et malgré tout. C'est dans sa nature, c'est dans son histoire et dans sa culture. Evidemment, des groupes salafistes circulent à l'air libre depuis le 14 janvier 2011. Evidemment, on les entend beaucoup plus qu'avant. Evidemment, il arrive qu'ils nous empestent la vie. Mais où nos amis d'«Envoyé spécial» voient-ils que ce sont eux qui font aujourd'hui la loi? A quoi, au juste, l'ont-ils compris? Dubitatifs, de même, à propos de la polygamie. Encore un «épiphénomène» porté, presque, à l'état de «réalité crue», alors que cela ne concerne que des cas rares et un nombre infime de gens. Même procédé : on grossit ce qui «convient» et tant pis si le «détail» l'emporte sur la «généralité», sur la vérité. La vérité? Il y a bien des mariages «orf» (selon la coutume charaïque) qui se nouent clandestinement ici et là, dans quelques régions reculées du pays, ou dans quelques quartiers périphériques des grandes villes, mais le délit de polygamie est toujours en vigueur dans nos tribunaux. Les femmes tunisiennes y veillent soigneusement, rigoureusement encore. C'est ce que le reportage de France 2 aurait pu parfaitement illustrer. Généralisations On n'évoquera pas les autres exagérations, les autres «contre-vérités», ce numéro d'«Envoyé spécial» était décidément concocté d'un seul «bloc». Il a comme «décidé» d'avance que la Tunisie a «basculé» définitivement dans l'islamisme, et c'est sur cette seule et unique «hypothèse» qu'il a tout «bâti» et tout «déduit». C'est si facile, si sommaire, si précipité que l'on se demande pourquoi? Pourquoi un journalisme réputé sérieux, professionnel et expérimenté le fait-il? Pourquoi l'a-t-il fait spécialement «aux dépens» de la Tunisie? Difficile de croire à un quelconque «complot». Comploterait-on contre notre tourisme? Contre nos investissements? Et à partir de médias étrangers au surplus ? A exclure, franchement. Le plus plausible est que nos confrères occidentaux aiment de plus en plus généraliser sur le printemps arabe. Pour eux, ce «printemps a viré à l'hiver». Il était «démocratique», il s'est «avéré» «islamique». Vrai, «absolument vrai» peut-être, pour l'Egypte, pour la Libye, pour le Yémen, et bientôt aussi pour la Syrie, mais est-ce vrai du cas tunisien ? Trois rappels utiles Nos amis d'«Envoyé spécial», comme beaucoup de leurs collègues et confrères d'Europe et d'Amérique, se trompent, croyons-nous, sur le cas tunisien. En toute bonne foi, soit, mais le résultat est le même. Leurs opinions publiques prennent ce qu'ils disent pour argent comptant. Les médias occidentaux ne sont d'ailleurs pas les seuls à se méprendre sur le sort de la révolution tunisienne. Les chancelleries européennes hésitent encore à ce sujet. Le Pentagone, aussi, et plus souvent qu'on ne le croit. On rappellera à tout ce beau monde trois particularités de la Tunisie et de sa révolution, trois seules, et elles suffiront, on l'espère, à corriger les erreurs et à rectifier les avis. Un : la révolution tunisienne a été une révolution populaire, spontanée, laïque et moderniste. Deux : la victoire d'un parti islamiste aux élections de l'Assemblée constituante n'a reposé que sur un million et quelques de Tunisiens. Il reste les 7 à 8 autres. Trois : tous les «dérapages» constatés depuis l'avènement du gouvernement islamiste ne tiennent qu'à des «faveurs» ou des «complaisances» de ce même gouvernement, ils ne reflètent pas l'ensemble de la société. Le printemps tunisien demeure possible, patent. Et au milieu des montées islamistes, et malgré elles, la révolution tunisienne gardera toute son exception.