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Libye : printemps arabe ou hiver rigoureux ?
Publié dans La Presse de Tunisie le 01 - 11 - 2011


Par Rafik BEN HASSINE
«Nous ne nous sommes pas fait d'illusion sur Kadhafi, mais nous ne partageons pas votre vision du monde arabe. Vous pensez que c'est le rendez-vous de l'islam et de la démocratie. Nous croyons que c'est un choix entre un tyran et Al-Qaïda». (Dimitri Rogozine, ambassadeur de la Russie à l'Otan).
En Libye, le sentiment d'appartenance tribale est la donnée fondamentale de compréhension des réalités sociologiques. Le Conseil national de transition n'est pas représentatif de la Libye ! En effet, l'échiquier libyen est complexe. A l'ouest, on trouve la grande tribu des berbères arabisés des Zintan (ou Zénètes) du djebel Nefoussa. Les habitants de Misrata se disent descendants des Turcs. La moitié de la population de Benghazi descend d'immigrés originaires de Misrata. La région de Bani Walid est le fief des Ouarfalla. Tarhoufa est le fief de l'importante confédération tribale des Tarhouna. Syrte, d'où est originaire Mouammar Kadhafi, est le fief des Kadhafa. Le Fezzan est le fief des populations kadhafa, magariha, hassouana et touarègues rétribuées et recrutées par le régime déchu. La population jaramna de Ghadamès, à la frontière algérienne, est toujours demeurée fidèle au pouvoir khadafiste. On prend encore mieux conscience du puzzle tribal lorsqu'on apprend que Mizda, fief des Malachiya et des Aoulad Bou Saif, ainsi que les oasis d'Aoujila, Waddan, Houn, Soukna et Zliten, fief des Aoulad Shaik, se méfient de ceux de Misrata ! Il faut savoir enfin qu'en Cyrénaïque, l'Etat libyen est très marqué par l'existence sous-jacente de mouvements islamistes et de la puissante confrérie Sénoussi qui avait donné naissance à la première monarchie de 1947. Les tribus en Tripolitaine considèrent les gens de la Cyrénaïque comme des péquenauds prenant le pouvoir et imposant leur nouveau drapeau, le drapeau de la Cyrénaïque, soit un rectangle noir avec un croissant et une étoile blancs, une bande rouge pour le Fezzan et une bande verte pour la Tripolitaine.
Tout cela n'est pas sans nous rappeler la Somalie, où après la défaite du groupe islamiste Al-Shebab, les luttes chaotiques et violentes ont commencé entre les clans pour savoir qui, après vingt années de conflit, prendra le contrôle du pays. On ne peut pas également ne pas penser à l'Irak avec la suppression des institutions solides de Saddam Hussein et l'absence totale de cohésion entre sunnites et chiites, Arabes et Kurdes. Comme la Somalie, l'Irak, après le départ des Américains, risque d'être divisé en mini-califats (kurdes, arabes, chiites, sunnites) en guerre les uns contre les autres, comme l'Andalousie musulmane agonisante d'il y a 6 siècles. Afin de retarder cette échéance (et cette déchéance), les Irakiens demandent aux Etats-Unis de retarder au maximum leur départ d'Irak, tout comme le CNT libyen implore l'Otan de prolonger sa mission en Libye.
Dans les années 80, la CIA incite Awatha al-Zuwawi à créer une officine en Libye pour recruter des mercenaires et les envoyer au jihad en Afghanistan contre les Soviétiques. À partir de 1986, les recrues libyennes sont formées au camp de Salman al-Farisi (Pakistan), sous l'autorité du milliardaire saoudien et anti-communiste Oussama Ben Laden. Lorsque Ben Laden se déplace au Soudan, les jihadistes libyens l'y suivent. Ils y sont regroupés dans leur propre campement. À partir de 1994, Oussama Ben Laden dépêche des jihadistes libyens dans leur pays pour tuer Mouammar Kadhafi et renverser la Jamahiriya.
Le 18 octobre 1995, le groupe se structure sous la dénomination Groupe islamique combattant en Libye (GICL). Durant les trois années qui suivent, le GICL tente par quatre fois d'assassiner Mouammar Kadhafi et d'instaurer une guérilla dans les montagnes du Sud. À la suite de ces opérations, l'armée libyenne — sous le commandement du général Abdel Fattah Younés — mène une campagne d'éradication de la guérilla, et la Justice libyenne lance un mandat d'arrêt contre Oussama Ben Laden, diffusé à partir de 1998 par Interpol. Selon l'agent du contre-espionnage britannique David Shayler, le développement du GICL et la première tentative d'assassinat de Mouammar Kadhafi par Al-Qaïda ont été financés à hauteur de 100.000 livres par le MI6 britannique (l'équivalent de la CIA américaine).
Le 6 mars 2004, le nouveau chef du GICL, Abdelhakim Belhadj, qui s'est battu en Afghanistan et en Irak, au sein d'Al-Qaïda, est arrêté en Malaisie, puis transféré dans une prison secrète de la CIA en Thaïlande où il est soumis au sérum de vérité et torturé (Voir notre article dans La Presse du 4/9/2011, la prise de Tripoli, une victoire d'Al-Qaïda ?). À la suite d'un accord entre les Etats-Unis et la Libye, il est renvoyé en Libye où il est torturé, mais par des agents britanniques cette fois, à la prison d'Abou Salim.
Le 26 juin 2005, les services secrets occidentaux organisent à Londres une rencontre d'opposants libyens. Ils constituent la « Conférence nationale de l'opposition libyenne» en unissant trois factions islamiques : les Frères musulmans, la confrérie des Sénoussis, et le GICL. Leur manifeste fixe trois objectifs :
- renverser Mouammar Kadhafi ;
- exercer le pouvoir pour un an, sous le nom de Conseil national de transition ;
- rétablir la monarchie constitutionnelle dans sa forme de 1951 et instituer la chariaâ.
Durant la période 2008-2010, Saif el-Islam Kadhafi négocie une trêve entre la Jamahiriya et le GICL. Celui-ci publie un long document, Les Etudes correctrices, dans lequel il admet avoir commis une erreur en appelant au jihad contre des coreligionnaires dans un pays musulman. En trois vagues successives, tous les membres d'Al-Qaïda sont amnistiés et libérés à la seule condition qu'ils renoncent par écrit à la violence. Sur 1 800 jihadistes, plus d'une centaine refuse cet accord et préfère rester en prison. Dès sa libération, Abdelhakim Belhadj quitte la Libye et s'installe au Qatar.
. Al-Qaïda redevient l'ami officiel présentable
Début 2011, les USA chargent un prince saoudien, très connu et très influent, d'entreprendre une série de voyages pour relancer Al-Qaïda en élargissant son recrutement, qui était surtout arabe, aux musulmans d'Asie centrale et d'Asie du Sud- Est. Des bureaux de recrutement y sont ouverts. Le meilleur résultat est obtenu à Mazar-i-Sharif, où plus de 1 500 Afghans s'engagent pour le jihad en Libye, en Syrie et au Yémen. En quelques semaines, Al-Qaïda, qui n'était plus qu'un groupuscule moribond, peut aligner plus de 10.000 hommes. Ce recrutement est d'autant plus facile que les jihadistes sont les mercenaires les moins chers du monde. Les Anglo-Américains jubilent.
Le 17 février 2011, la « Conférence nationale de l'opposition libyenne » organise la « journée de la colère » à Benghazi, qui marque le début de la guerre.
Le 23 février, l'imam Abdelkarim Al-Hasadi proclame la création d'un Emirat islamique à Derna, la ville la plus intégriste de Libye dont sont originaires la majorité des jihadistes devenus kamikazes d'Al-Qaïda en Irak. Al-Hasadi est un membre du GICL de longue date, il a été torturé par les Etats-Unis à Guantanamo. La burqa devient obligatoire et les châtiments corporels sont rétablis. L'émir Al-Hasidi organise sa propre armée, qui débute avec quelques dizaines de jihadistes et en regroupe bientôt plus d'un millier.
Le général Carter Ham, commandant de l'Africom, chargé de coordonner l'opération alliée en Libye, exprime ses interrogations quant à la présence parmi les rebelles qu'on lui demande de défendre des jihadistes d'Al-Qaïda qui ont tué des GI's en Afghanistan et en Irak. Il est relevé de sa mission qui est transmise à l'Otan.
Le 1er mai 2011, Barack Obama annonce qu'à Abbottabad (Pakistan), le commando 6 des Navy Seals a éliminé Oussama Ben Laden dont on était sans nouvelles crédibles depuis presque 10 ans. Cette annonce permet de clore officiellement le dossier Al-Qaïda et de relooker les jihadistes pour en refaire des alliés officiels des Etats-Unis comme au bon vieux temps des guerres d'Afghanistan, de Bosnie-Herzégovine, de Tchétchénie et du Kosovo. Le 6 août, tous les membres du commando 6 des Navy Seals meurent opportunément dans la chute de leur hélicoptère.
Abdelhakim Belhadj revient dans son pays dans un avion militaire qatari au début de l'intervention de l'Otan. Il prend le commandement des hommes d'Al-Qaïda dans les montagnes du Djebel Néfoussa. Selon le fils du général Abdel Fattah Younès, c'est lui qui commandite le 28 juillet 2011 l'assassinat de son vieil ennemi qui était devenu le chef militaire du CNT. Après la chute de Tripoli, Abdelhakim Belhadj ouvre les portes de la prison d'Abou Salim et libère les derniers jihadistes d'Al-Qaïda qui y étaient détenus. Il est nommé gouverneur militaire de Tripoli. Il exige des excuses de la CIA et du MI6 pour le traitement qu'ils lui ont fait subir par le passé. Le CNT lui confie la charge de former l'armée de la Libye nouvelle.
. Et maintenant ?
Maintenant, une véritable lutte est ouverte entre factions islamistes radicales :
Les jihadistes d'Al-Qaïda, dont le leader apparent est Abdel Hakim Belhadj, la principale force militaire au sein du CNT, et qui bénéficie des réseaux d'AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique) dans tout le Maghreb, le Sahel et l'Afrique noire.
Les Salafistes et les Frères musulmans libyens, issus des confréries Sénoussi, et qui ont imposé l'ancien drapeau royaliste, et dont le leader est Abdeljalil, le protégé des islamistes turcs de l'AKP.
Enfin, opaques et occultes, mais bien présents et s'appuyant sur le puissant appareil sécuritaire et militaire de Téhéran et les réseaux du Hezbollah libanais, les réseaux iraniens en Libye, qui avancent leurs pions, afin de contrer les Anglo-Américains, et compenser ainsi la perte probable de l'allié syrien.
. Quid des femmes libyennes ?
Pour les femmes libyennes, libres, émancipées, cultivées sous le régime jamahiriyen, auxquelles Kadhafi avait assuré l'égalité des droits, c'est le retour programmé au Moyen Âge. Kadhafi avait notamment supprimé la polygamie, ouvert l'enseignement aux filles jusqu'à l'université (elles y sont majoritaires), introduit le divorce civil (à la place de la répudiation islamique). En cas de divorce, la mère conservait le logement et la garde des enfants, ce qui avait valu à Kadhafi d'être qualifié d'apostat par les islamistes.
. Conclusion
De l'irruption au pouvoir de Bourguiba en Tunisie, de Nasser en Egypte, à celle de Kadhafi en Libye, en passant par l'instauration des régimes baâthistes en Irak et en Syrie, celle d'un régime «socialiste» au Yémen ou le combat du FLN en Algérie, les révolutions arabes des années cinquante et soixante avaient en commun des aspirations démocratiques et émancipatrices. Ceux qui les incarnaient promettaient de mettre fin à l'illégitimité, à l'incompétence, à la corruption, au népotisme des pouvoirs en place. Ils s'engageaient à en finir aussi avec la distribution inéquitable des richesses, la concentration des pouvoirs entre les mains d'élites parasites. Ils juraient de délivrer leurs peuples du joug colonial. Leurs slogans glorifiaient l'indépendance, l'unité arabe, la liberté, la dignité, le socialisme. Les militaires, dans nombre de ces mouvements, jouaient un rôle d'avant-garde, guidant le peuple vers un avenir prometteur.
Le printemps arabe, initié en Tunisie en 2011, a été le continuateur de ces aspirations. Les résultats du Printemps arabe risquent fort de ne pas être ceux qu'attendaient les acteurs des manifestations.
Deux forces puissantes sont déjà en train de confisquer la victoire des peuples : les militaires et les islamistes. Les premiers peuvent invoquer la nécessité d'éviter la dislocation éventuelle du pays comme au Yémen ou en Syrie, pour s'emparer du pouvoir. Ils peuvent aussi, comme en Egypte et en Algérie, choisir un rôle plus habile et discret de «facilitateurs» en demeurant dans l'ombre pour diriger le pays sans paraître le diriger.
Les islamistes ont visiblement compris que si ces révolutions n'ont pas été faites en leur nom, l'heure est venue pour eux d'agir. Et d'en tirer tout le bénéfice possible. En utilisant au mieux leurs atouts – capacité d'organisation, argent, soutien bienveillant des Anglo-Américains – ils vont pouvoir prendre le pouvoir politique, comme en Tunisie aujourd'hui, en Egypte ou en Libye demain. Le tout, en affrontant, au sein de leur propre camp, les critiques et l'action gênantes des salafistes.
Ainsi donc, les exigences économiques occidentales modernes (l'exploitation pétrolière) imposent aux Arabes d'aujourd'hui ce que l'exploitation coloniale leur avait imposé il y a un siècle. Les puissances occidentales contrôlent maintenant la quasi-totalité du pétrole arabe, grâce à des régimes compradores, installés du Golfe à l'Atlantique. La seule exception est l'Algérie, car la prise du pouvoir islamiste y a été contrée par l'ANP (Armée nationale populaire), à un prix extrêmement élevé.
L'avenir proche, dans le monde arabe, sera sans doute déterminé, au terme d'un débat politique, violent ou pacifique, entre les militaires, les islamistes et les restes des régimes déchus, sous la surveillance vigilante des puissances occidentales. Dans cette hypothèse, la défaite de protestataires du printemps arabe paraît consommée. Un hiver long et rigoureux s'annonce. Retour à la case départ.


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