Quatre cliniques au bord de la faillite On se souvient encore des longs et durs mois de révolution endurés par nos voisins libyens et des vagues de réfugiés qui ont afflué vers le pays frère et voisin, la Tunisie, à la recherche d'une terre d'asile et de protection pour un certain temps. Les Tunisiens, alors grisés par leur propre révolution, et malgré les lendemains difficiles en termes sécuritaires, ont été heureux d'accueillir à bras ouverts leurs voisins et de leur ouvrir grandes les portes de leurs foyers. En 2011, le nombre des hôtes de la Tunisie avait dépassé le million et les Tunisiens, peuple et gouvernement, considéraient cela comme un devoir, un prolongement de leur révolution pour la dignité, pour la liberté. Les blessés libyens, rebelles et kataeb, étaient acheminés quotidiennement, notamment à travers le passage de Ras Jedir, vers les structures de soins de santé tunisiennes pour y être soignés. A un certain moment, toutes les cliniques tunisiennes avaient accueilli des blessés de la révolution libyenne ; certaines affichaient complet. Facture salée Malgré l'écoulement du sang et l'horreur de la guerre, ces mois de révolution ont eu la magie de rapprocher les deux peuples et de renforcer la solidarité entre eux. Mais tout cela est bien loin maintenant. L'insécurité, les difficultés économiques, l'instabilité politique, dans les deux pays, ont compliqué la vie, monté les tensions, perturbé les échanges et engendré des incompréhensions, des malentendus, voire des accrochages, comme cela a été le cas avec les transporteurs de marchandises, dans les deux sens, au passage des frontières de Ras Jedir. Dernier malentendu en date : l'ardoise de 70 MD (sur un total de 100 MD) que les cliniques privées tunisiennes attendent d'empocher du gouvernement libyen pour les soins médicaux apportés aux blessés de la révolution ainsi que le traitement de malades parmi les réfugiés libyens et l'assistance à des centaines d'accouchements. Au total, entre 20.000 à 30.000 patients soignés dans 32 cliniques réparties du nord au sud du pays (Djerba, Médenine, Gabès, Sfax, Sousse, Tunis...). La Facture est jugée trop salée par les autorités libyennes si bien que les multiples tentatives de négociations ainsi que les promesses de paiement, depuis février 2012, sont restées sans lendemain. «Nous avons été quatre fois en Libye, rencontré des officiels, discuté en détail de la question, nous avons même signé, à Tunis, un procès-verbal, le 13 février 2012, avec la partie libyenne en présence de l'ambassadeur de Libye en Tunisie, selon lequel le paiement serait effectué après une quinzaine de jours ; après, rien», indique Dr Khaled Nabli, président de la Chambre nationale des cliniques privées. Un cabinet d'audit international Les propriétaires des cliniques privées ne contestent pas le droit de la partie libyenne de vérifier les factures et d'en discuter les détails : «Nous avons proposé, dès fin 2011, la création d'une commission mixte à l'effet d'étudier ensemble les dossiers qui posent problèmes ; au début, la partie libyenne a accepté, puis s'est rebiffée», ajoute le médecin. Ce qui a fait déborder le vase et fâché les cliniciens tunisiens, c'est l'entrée en ligne, plus tard, de Price Waterhouse, un cabinet d'audit financier de renommée internationale chargé par le gouvernement libyen de faire le travail de vérification des factures, au nombre de 30.000. «Plus précisément, c'est la manière de procéder qui nous a dérangé pas l'entrée en jeu de ce cabinet d'audit», explique encore Dr. Nabli. La manière consistant à remettre en question les détails des actes médicaux, «ce qui est interdit», et de contacter les propriétaires des cliniques pour leur demander, un à un, de faire des rabais de 20 à 30 % sur les factures. Pour Dr. Nabli, il est tout à fait possible de discuter la facturation de certains services mais pas les actes médicaux qui relèvent de la compétence des médecins traitants. Réunion en Libye le 8 février prochain Du côté des autorités tunisiennes, c'est la voie diplomatique qui est privilégiée. En vain, jusqu'à ce jour. Et l'on ose espérer que la réunion avec les autorités libyennes, fixée récemment (après le sit-in des propriétaires de cliniques privées le 22 janvier 2013 devant l'ambassade de Libye) au 8 février 2013 en Libye et à laquelle participera une délégation tunisienne, sera déterminante et concluante. Car, pour certaines cliniques en difficultés financières, la situation urge. Quatre cliniques seraient au bord de la faillite en raison des risques de saisies bancaires. Ce qu'il faut savoir, c'est que les cliniques ne travaillent pas seules, elles s'approvisionnent auprès de fournisseurs, notamment de médicaments, d'équipements et d'ambulances, font appel à des techniciens et des spécialistes de tout genre. C'est peut-être pour cela que leurs factures sont trop salées même pour les Tunisiens. «Nous n'avons pas attendu pour payer nos fournisseurs, ce qui représente un manque à gagner pour les 32 cliniques concernées par cette affaire et surtout une menace de faillite pour quatre d'entre elles», explique encore Dr. Nabli. Dans le cercle des officiels et des décideurs, l'entente et la compréhension sont toujours de mise entre les deux parties, tunisienne et libyenne, même après les changements des gouvernements ; il faut donc espérer que les responsables libyens actuels respectent les engagements pris deux ans plus tôt par ceux qui les ont précédés, en vertu de la continuité de l'Etat, sans risquer de semer le doute sur une opération qui avait pour seul but de porter une assistance médicale et psychologique aux blessés de la révolution et aux malades réfugiés en Tunisie.