Accompagnant cette collection de bijoux et d'art de la table, une série de portraits de la même veine, sur fond de miroir vieilli, file le thème et accentue l'atmosphère de boudoir, délicatement féminin. En ces temps de morosité, peut-on interdire aux gens de rêver de jours meilleurs, de fêtes et de convivialité, d'espoirs et de lendemains qui chantent? C'est cette part de rêve que réclament haut et fort Feryel Lakhdar et sa complice Aycha Ben Khalifa et qu'elles ont souhaité nous faire partager samedi dernier, à Carthage, Villa Didon. L'argument de cette rencontre : des créations à quatre mains par ce duo d'artistes qui avait déjà fait ses preuves, et qui prouve combien l'art est aujourd'hui transversal, complémentaire, et collectif. Au début, bien sûr, pour elles deux, était la femme. Ou plutôt les femmes, toutes celles dont l'image accompagne l'histoire de la Tunisie : la matrone antique des bas-reliefs romains, la Carthaginoise intrépide venue de Phénicie, l'Amazone conquérante des montagnes et des steppes, l'odalisque raffinée des palais de marbre, la femme de bure des campagnes profondes, la femme de soie des cités prospères, la «baldia» (citadine) élégante des mariages traditionnels. Feryel Lakhdar leur donne une nouvelle vie, et Aycha Ben Khalifa les met en scène. Pour support, elle leur offre la porcelaine d'un service d'apparat, les pierres précieuses de camés à l'ancienne. C'est ainsi que ces médaillons délicatement peints apparaissent et évoluent selon la fantaisie des artistes, sur les plats et assiettes aux fonds tramés de dentelles, dorés sur tranche, dansant sur les ombilics, ou se dissimulant sur les bols. Mais aussi en bijoux sur des cabochons d'hématites, d'agate mousse, ou de malachite, ou encore sur des fonds de nacre ou de lapis lazuli. Ils sont, au gré de l'imagination de Aycha Ben Khalifa, sertis dans des volutes d'argent, enchassés dans des perles ou des coraux, entourés de turquoises ou de jaspe. Accompagnant cette collection de bijoux et d'art de la table, une série de portraits de la même veine, sur fond de miroir vieilli, file le thème et accentue l'atmosphère de boudoir, délicatement féminin. Une atmosphère de rêve, il est vrai, en ces jours âpres et difficiles. Mais nos artistes persistent et signent : « Nous réclamons notre part de rêve et nous souhaitons la partager. C'est, pour nous, une façon de conjurer la morosité, de lutter contre la chape de plomb que l'on veut nous imposer. Nous allons faire comme si cela se passait dans une Tunisie où tout va bien. Le rêve est pour nous un moteur, et si l'on ne rêve pas, on n'avance pas. Nous avons été aussi loin que possible dans la liberté et la fantaisie pour créer cette collection: les trente bijoux sont tous différents, et le service a nécessité cinquante maquettes différentes. Nous nous sommes également amusées à créer une scénographie baroque pour présenter la collection. C'est notre façon à nous de nous battre pour que tout aille mieux». Tel est le credo de Feryel Lakhdar et Aycha Ben Khalifa. Et nous, nous voulons y croire.