Si l'art n'est pas une mode, la mode, elle, peut-être un art…C'est le défi que s'est proposée de relever Aïcha Gorgi, commissaire de l'exposition, conjointement à la direction de Square5 boutique de grandes marques de luxe. Claude Pompidou, collectionneur et mécène répondait à la question « L'art est-il un luxe ? que l'art est l'expression d'un idéal en peinture, musique, littérature ou toute autre forme de création. Le luxe est ce qui revêt un caractère somptueux, donc en principe, superflu voire inutile. Personnellement, je crois que l'art est nécessaire à tous, qu'il doit être accessible à tous. C'est le superflu nécessaire à notre recherche de l'idéal. C'est un droit de vie». Aussi les maisons de luxe ont souvent entretenu leur relation à l'art. On se rappelle que Louis Vuitton avait fait appel à Arman à l'occasion de la coupe du monde. Le sculpteur avait réalisé des ballons de football, dans la célèbre toile Vuitton, installés alors dans un caisson d'acier. Pour Aïcha Gorgi, propriétaire de la Galerie Ammar Farhat, il était important de sortir de son espace pour faire évoluer des artistes sur un thème fédérateur, celui de la mode et hors galerie afin de les faire connaître à un public élargi. Expérience qu'elle avait déjà tentée il y a quelques années avec Emporio, boutique de meubles à la Charguia. Dix artistes tunisiens et étrangers ont donc été invités, pour les dix ans de Square5, à travailler autour de la mode. Et au-delà de l'inspiration pour une robe, un bijou ou un objet, puisée chez les artistes, les Abdelmoula ont concrètement prouvé leur attachement à l'art, en favorisant la création, et en se positionnant en mécènes de cette exposition. Rym Karoui a fait de ses chiens en résine des sortes d'étiquettes d'instructions de lavage ou encore porte -drapeaux des grandes villes de la mode, non sans humour. Notre regard sur ses peintures est d'abord maintenu en surface puis les quantités d'informations représentées se dissolvent dans le foisonnement des motifs, l'accumulation des détails. Emaux, photos et céramique sont les médiums de Wadi Mhiri qui a mis en scène des robes imprégnées d'histoires et d'énigmes afin de donner à la mode un côté sensible et délicat. Les silhouettes sur métal des femmes de Feryel Lakhdar se déhanchent et se tortillent se prenant indubitablement pour des modèles. Noir et blanc, blanc et noir, les courbes s'alignent sans jamais vraiment se croiser suivant les formes du corps. Le fil d'Ariane d'Insaf Saada se poursuit dans la broderie de son manteau jusque dans le gris-gris qui la surveille et qui guette l'escarpin qu'un prince charmant viendra probablement recueillir. La vidéo de Nicène Kossentini semble plagier une scène qui se déroulerait devant une cabine d'essayage, celle qu'on investit malgré soi, juste pour être à la mode. Les chats – châles matelassés de Meriem Bouderbala nous donnent envie de les avoir sur les épaules attestant que l'art associé à la mode tient certainement bien au chaud. Se pavaner avec une œuvre d'art au cou, quel luxe ! Faten Gaddes plus aérienne, fait flotter des chemises lumineuses se substituant le temps de l'exposition en luminaires et autres spots. Quand l'art s'associe à la mode, il donne le tournis puisque c'est en millions qu'Aïcha Filali investit l'espace à travers une couette et une installation qui pourrait faire tourner bien des têtes. Les lingeries fines de Dorra Dhouib rappellent combien les dessous pourtant dessous ont leur importance et leur mode. Cette installation de photographie au format carré s'insère magnifiquement bien dans l'espace de la boutique rendant à ces articles chinés dans les fripes une place de rêve dans ce monde de luxe. Les portraits des photos de Marianne Catzaras amplifient les traces hermaphrodites de ces personnages sans jamais se fixer sur un genre, échappant au paradigme binaire établi par les conventions et les diktats de la mode. Ces regards tristes nous prennent à témoin de leur solitude. Que pensent-ils ? Qu'est-il en train de se jouer dans ces atmosphères mystérieuses ? Mystère, aussi, pour les fonds marins de Peter Mulder qui fait poser ses mannequins sous l'eau, là, où tout semble en apesanteur. Seules les bulles, qui attestent de la direction de la surface, se sont figées le temps de la photographie. Cette conjugaison de la mode et de l'art a pu se concrétiser aussi grâce à la contribution de Faten Gaddes qui s'est chargée de la scénographie avec beaucoup de talent…veillant jusqu'à des heures indues pour installer toutes ces belles œuvres qui font finalement partie du même monde que celui de la mode et du luxe. Ainsi cette exposition fait entrevoir un nouveau sens du risque et démontre l'habileté d'artistes qui créent dans le monde d'aujourd'hui avec l'espoir que Artfashion 1 n'est que le début d'une longue série d'événements…exemple d'un mécénat culturel encore plus présent en Tunisie.