Des milliers de personnes se sont rassemblées, hier, devant le siège du ministère de l'Intérieur, pour manifester leur colère suite à l'assassinat de Chokri Belaïd, président du Parti des patriotes démocrates unifié. Le maître mot «Dégage» était de retour. On n'était pas loin de l'image que tout un chacun a gardée du 14 janvier 2011, sauf que les slogans étaient cette fois-ci dirigés contre le gouvernement de la Troïka, et plus particulièrement contre le parti Ennahdha dont on réclamait la démission. Le maître mot «Dégage» était de retour. Les uns portaient des pancartes où on lisait «Nous sommes tous des Chokri», «Chokri est mort, à qui le tour ?», «A bas Ennahdha», «Le peuple veut de nouveau la révolution»..., tout en brandissaient le portrait de l'opposant assassiné, accompagné du drapeau tunisien. Une occasion aussi que ne pouvaient rater les graffiteurs – les zouawla. En un tour de main, le parterre de l'avenue Bourguiba était taggué de slogans qui critiquaient le silence suspect des dirigeants, évoquaient les centaines de disparus au fond de l'océan et prévenaient contre le début d'une série de liquidations ciblées. Mais l'émotion, en cette journée du mercredi 6 février, n'a rien à voir avec celle du 14 janvier 2011. Il y a deux ans, les Tunisiens se sont soulevés pour faire le deuil de la dictature. Leur fed up allait de pair avec un sentiment d'espoir en un avenir meilleur. Hier, par contre, ces milliers d'hommes et de femmes qui se sont rassemblés d'une manière spontanée étaient plus tristes que jamais. Ils avaient pleuré à chaudes larmes, exprimant avec des paroles poignantes colère et désespoir. Plus que le deuil de Chokri Belaïd, on avait le sentiment qu'ils se demandaient s'ils devaient faire un autre deuil, celui de la démocratie, de la liberté ou, peut-être, de la Tunisie moderne, tout court. Tolérée, la manifestation a été dispersée, en début d'après-midi. Jets de pierres d'un côté, tirs en l'air de l'autre, puis carrément des bombes lacrymogènes ont fini par dégager l'avenue Bourguiba. Etait-ce pour laisser la voie à l'ambulance qui portait la dépouille de Chokri Belaïd, suivie des siens, de ses partisans et de ses sympathisants, pour arpenter l'avenue Bourguiba? Mais alors pourquoi de jeunes agents de l'ordre public ont poursuivi les manifestants jusque dans les rues et ruelles avoisinantes?