Ennejma Ezzahra, le Théâtre municipal et d'autres espaces culturels ont annulé les spectacles qu'ils devaient accueillir avant-hier, hier et même aujourd'hui. Nawel Bizid et Taïeb Moalla devaient réunir des amis facebookers sur l'avenue Bourguiba pour chanter engagé. Le drame en a décidé autrement. C'était prévu pour hier, dans l'après-midi, mais «L'avenue chante» est annulé. L'amertume et le choc l'ont emporté sur l'envie de partager, sur les marches du Théâtre municipal et partout sur l'avenue Habib-Bourguiba, des chansons engagées. Le cœur n'y est plus, après l'acte lâche et sans précédent qui a coûté la vie au militant de gauche Chokri Belaïd. Aucune parole ne peut contenir ce que chaque Tunisien a désormais au fond de l'âme, sauf peut-être le chant d'une (nouvelle?) révolution. «L'avenue chante» voulait renouer avec l'esprit d'union et de citoyenneté de «L'avenue lit». Rappelons-nous un certain après-midi d'avril 2012, où un magnifique ras-de-marée de lecteurs avait envahi l'artère principale de Tunis le temps de quelques heures. Le message était fort : nous ne baisserons pas les bras. Nous n'abandonnerons pas la rue et notre combat restera pacifique et intelligent. Plus encore que la lecture, le chant porte ce message et cette symbolique. Nawel Bizid et Taïeb Moalla, deux membres du club des amateurs de Cheikh Imam (il se réunit chaque jeudi à la maison de la culture Ibn-Rachiq), ont lancé l'appel à cet événement sur Facebook. «Nawel et Taïeb chantent des chansons engagées sur l'Avenue. Leurs voix sont atroces. Venez chanter avec eux», ont-ils écrit dans leur page qui a aussitôt été submergée par des mots d'encouragements. Quelque temps après l'annonce de l'assassinat de Chokri Belaid, une phrase est venue répondre aux interrogations des participants: «Cet événement est annulé. Toutes nos condoléances à la famille de AChokri Belaïd et à toute la Tunisie». Elle est venue mettre fin au débat qui s'est installé, entre les avis pour et les avis contre le maintien de «L'avenue chante». La page de la manifestation est ainsi devenue, à l'image de la Tunisie, tantôt tiraillée par la douleur, tantôt brandissant la bougie de l'espoir. Depuis les événements qui ont conduit au 14 janvier 2011, la réappropriation de la rue et de la parole est devenue une guerre à plusieurs batailles pour les Tunisiens, une pièce à plusieurs actes dont il est de plus en plus difficile et déterminant d'écrire la suite. «L'avenue ne doit jamais se taire... Les chansons ne font que réchauffer les esprits et pousser les gens à militer davantage... Jamais laisser la place à la rage ni au chagrin», écrit encore un participant sur la page de l'événement. Mais la Tunisie est désormais face à un tournant, et il n'y a que la vérité qui peut l'aider à avancer. La vérité sur l'identité des assassins de Chokri Belaïd et leurs commanditaires, et une action ferme contre la gangrène de la violence. Mais, surtout, la volonté et la détermination des Tunisiens, dans l'union. Aujourd'hui, la Tunisie enterre l'un de ses hommes libres. Ses amis, ses enfants et tous ceux qui partagent ses idéaux n'ont d'autre choix que de porter le flambeau...