Sur le trajet du cortège funèbre de feu Chokri Belaïd, le temps était aux aveux de la part de ceux qui, de près ou de loin, ont côtoyé et connu l'homme. Pour eux, la symphonie triomphale ayant marqué les funérailles de l'avocat et défenseur des classes démunies et marginalisées durant son chemin vers sa dernière demeure, est révélatrice de sens. C'est qu'en temps de crise, les hommes s'unissent, dépassent leurs propres divisions et se tournent résolument vers l'avenir. Recueil de quelques échos, parmi tant d'autres... Abdessatar Ben Moussa, (président de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme) : Nécessité d'un gouvernement d'union nationale C'est un jour de grande solidarité nationale. Un jour qui doit rester gravé dans les mémoires. La mort de Chokri, quoi qu'elle soit profondément douloureuse, a permis de réunir toute cette marée humaine autour d'une même cause : démocratie, liberté, justice et dignité humaine. C'est en cela que l'homme est devenu un symbole national. Après cet assassinat politique lâche, l'on s'est rendu compte de l'urgence et de l'impératif d'un gouvernement d'union nationale qui garantisse la sécurité du pays, de la tenue d'un congrès national contre la violence. Sinon, la situation empirera davantage et les horizons s'assombriront de plus en plus. La violence, l'anarchie, le désordre et le vide institutionnel ne font que favoriser le côté bestial de l'homme. Les Tunisiens doivent en être conscients. Said Aïdi (Al Joumhouri) : Penser l'avenir De prime abord, il faut dire que la Tunisie a perdu un de ses enfants valeureux en raison de ces discours haineux soutenant le rejet de l'autre et de la différence. On aurait pu éviter ce drame, si l'on avait écouté la voix de la raison. Ce crime est, fort probablement, l'aboutissement logique de certaines doctrines et de discours démagogiques puisant dans l'instrumentalisation. Aujourd'hui que le mal est déjà fait, il faut se tourner vers l'avenir afin de corriger ce qui peut l'être avant qu'il ne soit trop tard. D'ailleurs, la grandeur de l'homme est de se relever après avoir trébuché. Nous sommes tous appelés à repenser l'exercice politique, le développement économique et humain et la cohabitation pacifique dans le même espace. Nous avons plus que jamais besoin d'un gouvernement rassemblant toutes les compétences qu'il faut pour un nouveau démarrage, sur des bases solides et fiables. Chawki Tebib (bâtonnier du Conseil de l'Ordre des avocats) : La justice est le fondement de l'urbanisme La famille des avocats est aujourd'hui unie, en ce jour de deuil national, pour accompagner un cher camarade vers sa dernière demeure. Nous sommes là pour dire également à son tueur, ainsi qu'à ceux qui ont orchestré son assassinat, que Chokri n'est pas mort. Ce grand homme qui n'a eu de cesse, de son vivant, de défendre pauvres et opprimés, sera néanmoins toujours présent dans les cœurs et les esprits libres. Sa voix résonnera là où l'exploitation de l'homme par l'homme se fera voir ou encore se fera entendre. En l'assassinant, ils lui ont permis d'acquérir le statut de martyr. Un statut qui demeure, pour nous tous, un souhait suprême. La mort de Chokri, comme vous le voyez, a favorisé l'union de ces milliers de Tunisiens venus manifester leur solidarité pour une cause juste, celle d'un brave militant et de toute une patrie. Cette présence massive des Tunisiens confirme que la méchanceté de certains hommes ne peut en aucun cas vaincre la bonté des autres, que le terrorisme ne gagnera jamais du terrain sur la justice. Cela pour dire que nous continuerons le chemin entrepris par Chokri pour, finalement, plaider sans relâche en faveur des nobles principes que nous partageons avec lui. Chokri est un de ceux qui ne renoncent point à leur passion. C'est justement par passion qu'il est devenu ce qu'il est devenu et que son âme s'est élevée aux grandes choses. Force est de constater, dans ce sens, que Chokri disposait au commencement d'un baccalauréat scientifique, avant de se convertir au métier d'avocat. Cela donnerait peut-être une idée plus claire, aussi bien sur l'itinéraire que sur la personnalité de l'homme. Il faut dire, au demeurant, que nous avons confiance en la justice pour rétablir l'ordre et rendre à César ce qui est à César. Mais n'a-t-on pas dit un jour que la justice est le fondement de l'urbanisme ?»