Par Anouar Moalla Depuis le 14 janvier et la récupération par l'Etat d'une partie des biens du RCD, plusieurs idées ont été avancées concernant les utilisations possibles de son imposant siège. Certains avaient suggéré que l'on en fasse une maison des associations. D'autres aimeraient que ce bâtiment devienne le siège de l'encombrant ministère de l'Intérieur qui accapare de nombreux immeubles de l'hypercentre et bloque plusieurs rues névralgiques. Cette dernière idée aurait mérité d'être creusée car son siège actuel, de triste mémoire, cristallise beaucoup de rancœur. Cependant, l'idée qui semble être finalement retenue est celle d'en faire la Maison de l'Investisseur. Cela est, pour le moins, discutable. C'est à croire que le problème de l'investissement en Tunisie serait dû à un manque de bureaux ! Comme s'il n'y avait pas assez de structures et de fonctionnaires pour s'en occuper. Les millions de m2 de bureaux existants n'attendraient que ces 20 mille pour atteindre enfin cette masse critique qui ferait la différence. Et pour occuper ces bureaux, l'on rajouterait d'autres fonctionnaires aux 700 mille actuels. Autrement dit, les solutions préconisées par les politiciens se situent souvent là où le problème n'est pas. Dès qu'ils ont à faire face à un problème, un défi, une crise, le réflexe naturel des politiciens est de créer un nouvel organisme, une nouvelle structure, ou de promulguer une nouvelle loi. Or, le culturel primant le logistique, les défis auxquels les sociétés font face relèvent, la plupart du temps, de la sphère des attitudes, des comportements, de l'engagement, de la motivation, des aptitudes, etc.). Il en est ainsi de la relance de l'investissement comme, plus généralement, de la relance économique. Ceux qui, à la faveur de leurs activités professionnelles ou associatives ont la chance de sillonner le pays et de visiter les gouvernorats de l'intérieur, ont pu constater que des bâtiments (et peu importe l'organisme qui en a la responsabilité directe), parfois modernes, le plus souvent bien équipés, y compris en salles d'exposition et en réseaux, censés servir d'une manière ou d'une autre l'investissement, l'incubation et le lancement de projets, la formation et l'assistance aux jeunes dirigeants, sont très souvent déserts. Rien ou presque. On pourrait conclure sur cette base, et sans risque de se tromper, qu'il y a en Tunisie suffisamment de bureaux affectés au soutien direct ou indirect de l'investissement et de la création de projets. Prenons la peine de poser des questions autour de nous et nous comprendrons que le problème de la promotion de l'investissement est certainement ailleurs. Lorsqu'on voit ce que la vente d'objets retrouvés au Palais de Sidi Bou Saïd est censée rapporter, et que l'on compare les sommes annoncées à celle pouvant provenir de la cession de ce bâtiment, nous restons perplexes. L'ancien siège du RCD mis sous séquestre de l'Etat au lendemain du 14 janvier 2011 est un bâtiment totalisant plus de 20,000 m2 (sous-sol compris). Au prix d'aujourd'hui, certains experts estiment que sa vente pourrait rapporter à l'Etat quelque 60 millions de dinars. S'il n'a pas d'offres sous la main, l'Etat devrait faire la même publicité que pour les objets saisis à Sidi Bou Saïd. Un peu de patience, et le bâtiment trouvera sûrement acquéreur. Et à la somme que la vente rapportera, il faudrait ajouter les économies réalisées sur les frais colossaux nécessaires à sa remise en état. En prenant la décision de transformer l'ancienne maison du RCD en Maison de l'Investisseur, le gouvernement perd sur au moins deux plans : il se prive des recettes de la revente de ce bâtiment et il fait un appel d'air vers les sureffectifs. Faisons confiance à ce personnel pléthorique, encadrement compris, pour qu'il se montre imaginatif dans la création des nouveaux obstacles à l'investissement. Ne serait-ce que pour justifier leurs salaires, les cadres et agents en surnombre constitueront, à n'en pas douter, une nouvelle gêne à l'investissement. Plus de bureaux, voilà bien la dernière chose dont l'investisseur et l'investissement avaient besoin pour mieux fonctionner. Se doter de plus d'espaces de bureaux relève de la même logique que celle qui fait que le gouvernement gère un parc de près de 2.250 voitures de fonction et consomme 700.000 litres de carburant par mois, au moment même où la Banque Centrale nous rappelle que le pays manque cruellement de ressources. Le rôle primordial de l'administration publique dans la croissance économique se trouve confirmé à travers l'histoire récente des pays aujourd'hui considérés comme avancés. En effet, aussitôt qu'un Etat s'est donné la responsabilité de mener son peuple sur le chemin du développement économique et social, il doit s'appuyer sur son administration publique en tant qu'instrument technique pour la réalisation de cet objectif. Les expériences de certains pays d'Asie (notamment Taïwan et la Corée), où l'administration publique a été la pierre angulaire du développement du secteur privé, confirment le rôle vital de l'administration. Avec la nouvelle donne issue de la révolution, l'administration est appelée, plus que jamais, à être la locomotive du développement. Plus que le coût excessif de son fonctionnement et son manque de productivité, il est reproché à l'administration de constituer une entrave à l'évolution économique et un obstacle réel au libre épanouissement du secteur privé. Cela se manifeste à travers les procédures longues et complexes, le poids financier lourd de l'Etat sur la vie économique et son interventionnisme excessif. Pour preuve, son incapacité à réaliser les projets pour lesquels des fonds ont été alloués. Tout le monde reconnaît la nécessité pour l'Etat d'accorder la priorité à ses responsabilités particulières, celles que nul ne peut exercer à sa place. Il s'agit d'abord des fonctions de souveraineté (la justice, la sécurité, la défense, la diplomatie). Mais au-delà même de ces domaines, cette responsabilité s'étend à l'édiction de normes et au contrôle de leur application. Ce sont là les deux principaux moyens d'action de l'Etat régulateur que l'Etat-providence a parfois occulté. Recentrer la puissance publique sur ses fonctions essentielles relève aujourd'hui d'un pragmatisme prudent. «Mais au-delà de ses responsabilités propres, l'intervention de la puissance publique devrait constituer l'exception. Le modèle de l'Etat-providence a justifié l'intervention de la puissance publique dans de très nombreux domaines. Sa crise révèle aujourd'hui qu'en règle générale, il n'appartient pas à l'Etat d'être un opérateur». Moins que jamais, l'Etat dispose de la capacité directe de créer les emplois qui permettront de réduire le chômage. Le recours à la solution de facilité de recruter dans l'administration est, à terme, une politique suicidaire. M. Elyes Fakhfakh a même assuré récemment que, d'une année à l'autre, la masse salariale du personnel public avait augmenté de 50%. Dans la situation d'ouverture internationale et de crise de croissance où, selon certains analystes, se trouve l'économie nationale, c'est l'entreprise qui constitue l'élément moteur d'une économie ouverte sur l'extérieur. La priorité de l'Etat est donc d'aider les entreprises, notamment les PME, à rester ou à devenir compétitives. C'est là tout le sens du rôle de l'administration dans la relance de l'économie et la mise à niveau de l'outil productif.