Oui les confusions continuent de courir la rue et d'investir le discours véhiculé par les médias. Nous avons relevé dans un article précédent (voir La Presse du 20 janvier 2011) quelques-unes parmi ces confusions conceptuelles. Nous poursuivons aujourd'hui la présentation critique d'autres. Commençons par où nous avons terminé notre précédent article : l'affaire de la dissolution du RCD. Nous avons lu hier dans un journal la déclaration d'un homme politique dans laquelle il recommande au «(…) bureau politique du RCD (de) décider l'autodissolution de l'appareil (…)». Erreur ! Cette structure exécutive n'a pas le pouvoir de dissoudre sa propre formation. Nous avons expliqué dans notre précédent article que la dissolution ne peut avoir lieu que par une décision judiciaire définitive ou suite à une décision du congrès de ce parti organisé en conformité avec son règlement et ses statuts. (Notons ici en passant que le RCD, héritier du PSD, lui-même héritier du PDL, n'a pas, à l'instar des autres partis en activité, un visa. Il existe de fait du fait de son histoire). La dissolution du RCD par son bureau politique n'est donc pas dans ses prérogatives. De plus, le RCD n'a plus de bureau politique depuis le mardi 18 janvier 2011. D'abord, parce qu'il n'a plus de président, poste-clé dans le RCD bâti sur le modèle stalinien, et l'essentiel de ses membres ont soit démissionné, soit ont été exclus. Son vice-président qui a démissionné (l'actuel Premier ministre du gouvernement provisoire) aurait dû d'abord entamer les procédures réglementaires et statutaires lui permettant d'occuper le poste de président (vu la vacance du poste), reformer un bureau politique à partir de certains membres du comité central, veiller à la répartition des fonctions puis démissionner, son vice-président fraîchement désigné réunira sur-le-champ le reste de cette structure exécutive suprême et procédera aux changements usuels et devenir à son tour président du bureau politique et de là du parti. Notons qu'il n'était pas obligé de faire toutes ces démarches, mais son choix a eu les conséquences actuelles. Exclusions et départs sauvages démontrent ainsi sans aucune équivoque que ce parti était une formation creuse dirigée par un petit groupe (bande oligarchique) avec un système de motivation en porte-à-faux avec la notion de compétence. La seule compétence étant l'allégeance. Le petit groupe puisait sa puissance de celle de l'Etat et pour être précis du président de la République déchu. Actuellement, le RCD est abandonné à son sort et est incapable d'agir car complètement paralysé ou presque. Révolution, oui ou non ? Le mot «révolution» est devenu le nom qui décrit ce qui s'est passé en Tunisie depuis le déclenchement des événements au cours de la seconde moitié de décembre dernier. Malgré la magie qu'exerce sur nous ce mot. Ce qui s'est passé chez nous n'est pas, qu'on le veuille ou non, une révolution. La révolution, comme l'expliquent les sociologues et les politologues, est un changement radical de l'ordre établi emportant avec lui toutes les structures formant l'Etat et même celles formant la société civile. L'armée elle aussi peut — cela s'est passé dans la plupart des cas dans l'histoire — vivre une scission (une partie rejoindra les révolutionnaires) et des combats peuvent s'ensuivre. Toutes les lois aussi sont déclarées caduques avec souvent remise en question de la propriété privée (parfois sa totalité). Une révolution est un nouvel ordre totalement différent avec l'instauration de valeurs différentes, d'institutions différentes (reflétant ces valeurs) des lois différentes, de nouvelles pratiques et enfin une nouvelle classe politique. La société sera à son tour reconfigurée à la lumière de tous ces changements radicaux. Ce qui s'est passé en Tunisie est une révolte populaire ayant déclenché le départ du chef de l'Etat en place jusqu'au 14 janvier. Cette vacance du pouvoir a, de son côté, déclenché deux procédures constitutionnelles (en vertu de l'article 56 puis de l'article 57), le gouvernement ayant été dissous avant cette phase, mais le Premier ministre reconduit est chargé par son président, avant sa fuite, de proposer un nouveau gouvernement. Il s'agit donc chez nous d'une transition démocratique très civilisée. La pression populaire (différente de la volonté populaire, autre confusion en vogue) est en train de pousser au démantèlement du RCD et a réussi en tout cas à pousser le chef de l'Etat par intérim à démissionner de son parti (le RCD), ce qui a permis la séparation première entre l'Etat et le parti au pouvoir. Les structures de l'Etat sont donc intactes et l'armée nationale est là pour veiller à la sécurité du pays mais aussi au respect de sa Constitution. Etat-partis, quid de la séparation ? La séparation Etat-partis, décision déjà prise au niveau du chef de l'Etat par intérim, reste cependant à consolider. Elle est aussi parfois mal interprétée et mal commentée. Certains l'utilisent mais confondent Etat et gouvernement. La séparation gouvernement-partis est une chose rare, pour ne pas dire exceptionnelle. Elle est pratiquée au cas où l'on choisirait de présenter un gouvernement formé d'indépendants (technocrates). La séparation Etat-partis n'implique pas systématiquement la démission du Premier ministre, ni d'ailleurs d'aucun ministre de son parti. Dans un régime parlementaire, c'est une chose insensée. Dans un régime présidentiel, elle peut être envisagée. En tout cas, la situation actuelle et la disgrâce, pire les graves accusations dont fait l'objet le RCD ont poussé certains politiques (et une partie de l'opinion publique) à exiger la démission des ministres appartenant à ce gouvernement et non le contraire. Les députés du RCD peuvent eux aussi démissionner tous en masse de leur parti sans que cela n'implique la dissolution de la Chambre des Députés. Cela est possible car un député ne tire pas sa légitimité de son parti mais de ses électeurs et son exclusion de son parti n'entraîne en aucun cas son exclusion de la Chambre des Députés. Même chose pour les conseils municipaux. La séparation Etat-partis implique aussi l'indépendance de l'administration et de sa neutralité, ainsi que l'autonomie des entreprises publiques (y compris les médias publics) par rapport au gouvernement, l'indépendance des structures de la société civile, les programmes scolaires, etc. Donc toutes ces confusions peuvent s'expliquer par un appauvrissement de la culture politique dû à 23 ans de marginalisation de la pratique politique réelle.