Par Abdelhamid GMATI On aura, quand même, le remaniement ministériel tant annoncé, ou plutôt un nouveau gouvernement avec un nouveau chef. Huit longs mois de négociations, de tractations n'ont rien donné jusqu'à cette initiative de M. Hamadi Jebali proposant un gouvernement de technocrates, indépendants des partis. Cela a créé un choc qui a contrebalancé celui provoqué par l'assassinat de Chokri Belaïd. Une initiative qui aura eu «le mérite d'avoir évité à la Tunisie de glisser dans le chaos». On s'est interrogé sur les motifs du chef du gouvernement. Il savait pertinemment que son mouvement, dont il est secrétaire général, ne lâcherait rien et que sa proposition était vouée à l'échec. Pouvait-il braver et se retourner contre ses amis islamistes, lui qui se réjouissait d'un 6e Califat ? Il fallait être naïf pour le croire. Il a toujours été sensible et obéissant aux décisions de son mouvement. Ce qu'il a fait. Devant l'impasse, du reste prévisible, il a démissionné puis a décliné l'offre de reprendre du service. La réalité apparaît aujourd'hui. Il s'agissait de trouver un moyen pour réduire les tensions, remettre à flot et consolider le pouvoir de son mouvement. Pari réussi dont il sort avec une nouvelle image et une autre aura : il passe pour un homme politique soucieux des intérêts du pays et prêt à se sacrifier dans cet objectif. Du coup, tout en présentant ses excuses au peuple tunisien et en faisant son mea culpa, il atténue l'acuité de l'échec de son gouvernement dont il est le premier responsable. En faisant cela, il a surtout servi son mouvement. Va-t-il se retirer de la politique ? Bien sur que non. Il continue à être secrétaire général d'Ennahdha et au vu de sa nouvelle image, on ne peut s'empêcher de penser qu'il est devenu présidentiable. Jusqu'ici, Ennahdha ne disposait pas de candidat crédible pour cette haute fonction. C'est chose faite. Nous allons donc avoir un nouveau gouvernement. Le choix de M. Ali Laârayedh ne fait pas l'unanimité. Indépendamment de la personne, c'est son bilan à la tête du ministère de l'Intérieur qui est dénoncé. Les opposants s'interrogent : «Où sont passées les enquêtes sur le 9 avril, les violences à Siliana, les violences et agressions du 5 décembre devant le siège de l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt), le laxisme dans l'arrestation des salafistes et des destructeurs de mausolées... Qu'en est-il de l'appareil sécuritaire parallèle, des récentes nominations des nahdhaouis un peu partout dans les gouvernorats, délégations, municipalités, et du gonflement du nombre des manifestants du 16 février pour appuyer la légitimité du pouvoir, passé de 16.000 à 60.000». Dans l'état actuel d'un pays en crise, il est nécessaire d'accorder un préjugé favorable. Dans une première intervention, M. Laârayedh a affirmé que le gouvernement (qu'il va former) sera représentatif de tous les Tunisiens, hommes et femmes (le précédent ne l'était-il pas ?) car «tous sont égaux en droits et en devoirs». Et il demande à tous de participer. Cela veut-il dire que le veto de son mouvement envers le parti Nida Tounès sera levé ? Indépendamment de la composition de la nouvelle équipe, il y a lieu de s'interroger sur ce que va ou peut faire le prochain gouvernement. L'important est le programme. La tâche est lourde et les dossiers, tous aussi urgents et sensibles les uns que les autres, nombreux. Même si l'on confie les ministères de souveraineté à des indépendants, que pourront-ils faire avec des conseillers nahdhaouis à leurs côtés et une Constituante aux ordres ? Va-t-on établir et respecter une feuille de route fixant des délais pour promulguer la nouvelle Constitution, mettre en place des instances supérieures, organiser les élections. Va-t-on enfin s'occuper de la sécurité intérieure et extérieure du pays ? Pour ce faire, va-t-on dissoudre les fameuses (et fumeuses) ligues de protection de la révolution ? Va-t-on mettre fin à l'occupation des mosquées, aux appels à la haine et au meurtre ? Va-t-on s'occuper sérieusement de l'économie, du chômage, de la pauvreté, de la hausse des prix ? Mais il n'y a pas que le gouvernement qui soit impliqué. Les partis politiques, ceux de la Troïka, de la future coalition élargie et ceux de l'opposition sont autant concernés. Il leur faudrait, entre autres, taire leurs considérations partisanes et leurs appétits personnels pour ne considérer que l'intérêt général. Idem pour les différentes organisations professionnelles et les associations, appelées aussi à participer à sauver le pays. Apparemment, tout reste possible. A moins que tout cela n'ait été qu'une partie de jonglage politique où l'on retourne à la case départ.