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«Une partie d'Ennahdha rejoindra les salafistes et une autre choisira de s'inscrire dans la démocratie et la modernité»
Entretien avec : Mohamed Chérif Ferjani, professeur de science politique et histoire des idées et institutions politiques et religieu
Publié dans La Presse de Tunisie le 21 - 02 - 2013

Conséquente elle-même à une usure politique consommée, la crise qui a suivi l'assassinat, le 6 février dernier, de Chokri Belaïd, figure emblématique de l'opposition radicale, a touché le parti Ennahdha au plus fragile de sa «légitimité», mais surtout, et pour la première fois, au plus solide de sa «légendaire cohésion». Accréditant, sans détour, l'échec du gouvernement de la Troïka, l'inititaive avortée de Hamadi Jebali de nommer des compétences apolitiques à la tête de l'exécutif, a aussi mis à nu les clivages internes du mouvement... «Ce n'est pas nouveau et le mouvement finira inéluctablement par se scinder en traditionalistes salafistes, d'un côté, et en islamistes démocrates, de l'autre...», prédit Mohamed Chérif Ferjani, l'invité de l'atelier «Religion et politique dans le printemps arabe» (Tunis 15 et 16 février) Il est professeur chercheur à l'Université de Lyon 2, auteur de deux livres* et de nombreux travaux, articles et conférences sur les rapports entre le politique et le religieux, la laïcité et les droits humains dans le champ islamique, dont les derniers sont en rapport avec les révolutions arabes.
Depuis son accès aux commandes de l'Etat au lendemain du scrutin du 23 octobre, le parti Ennahdha est durement confronté à l'usure du pouvoir et à toutes les crises aiguës qui ont affecté le pays et dont la dernière est celle succédant à l'assassinat de Chokri Belaïd. Pourquoi la machine de ce parti, si solide en apparence, est-elle, paradoxalement, si perméable aux orages ?
Le mouvement Ennahdha est soumis, dans son évolution, à des contraintes. Seules les pressions du réel façonnent son parcours. Comme l'exercice le précède, il n'évolue que sous l'effet des contraintes qui s'imposent à lui et aux résultats de sa dynamique interne. Si sa dynamique interne le conduit à des réussites, il n'a aucune raison de changer. Si sa dynamique interne aboutit à des impasses, il est obligé de tirer les leçons de ces impasses, et ce, de deux manières, soit par une fuite en avant ; aujourd'hui l'attitude de Ghannouchi et de l'aile radicale d'Ennahdha est plus qu'une fuite en avant. Soit en composant avec les contraintes qui s'imposent. L'attitude de Hamadi Jebali a procédé plus de cette logique que de la première. Ce qui n'est pas nouveau dans le mouvement Ennahdha. Aujourd'hui, il est tiraillé entre l'adhésion au processus démocratique et la fidélité à ses dogmes, entre ce qu'il croit et ce qu'il vit. Le mouvement a toujours composé avec les contraintes internes ou externes et a toujours connu des tiraillements entre rester cramponné à ses fondamentaux et adopter des fuites en avant et des attitudes suicidaires. On peut citer, à ce titre, les violences qu'on a connues dans les années 80 contre ceux qui ne font pas le ramadan, contre les cafés, les restaurants, les hôtels, les violences de Bab Souika... Aujourd'hui, nous assistons à la même attitude suicidaire, à la même violence suicidaire exercée par la main des ligues de protection de la révolution ou du silence protecteur à l'égard des groupes salafistes les plus violents. On ne les poursuit pas. Au contraire, on ne fait que fructifier les résultats obtenus par eux. Si le mouvement continue dans cette voie-là, la question est de savoir jusqu'où va-t-il aller ?
En quoi la crise actuelle que traverse le parti Ennahdha rappelle-t-elle précisément celle des années 80 ?
L'impasse des années 80 a notamment conduit des membres comme H'mida Ennaïfer, Slaheddine Jourchi, Abdeljélil Tmimi et autres à quitter le mouvement, pour divergence idéologique avec Ghannouchi dont la pensée traduit les fondements basiques de celle des Frères musulmans. Le plus clair de ses écrits puisent dans la fidélité absolue à ces références et ne font aucune place à la démocratie ni aux droits humains. Il avait une stratégie pour composer avec Ben Ali. Quand ils ont quitté le mouvement, les modernistes ont créé la revue «15 – 21», par allusion à l'ouverture entre les siècles de l'Hégire et ceux du calendrier grégorien. Dans ce sens, Jourchi a notamment écrit un livre sur l'impasse au sein du parti intitulé Le mouvement islamiste dans la tourmente. Abdelfattah Mourou a quitté le mouvement précisément à cause de la violence. Aujourd'hui, après un an de pouvoir, l'impasse et les clivages profonds qui apparaissent au sein du mouvement sont en rapport avec cette histoire et semblent la rééditer.
Vous placez justement l'attitude du chef du gouvernement au cœur d'un même clivage entre nahdhaouis modernistes réunis autour de Jebali et nahdhaouis salafistes traditionalistes regroupés autour de Ghannouchi. Mais beaucoup de Tunisiens n'adhèrent pas à cette thèse et interprètent son initiative plutôt comme une simple manœuvre dont Ennahdha maîtrise parfaitement l'art... Qu'en pensez-vous ?
A mon avis, il ne faut pas s'arrêter aux intentions. Il ne faut pas non plus avoir une approche essentialiste considérant le mouvement Ennahdha comme un bloc homogène et immuable. Comme dans tout autre parti, il y a toujours des phénomènes humains, sociaux, culturels qui entrent en jeu. Il y a des mouvements qui sont commandés aussi bien par des dynamiques internes que par des évènements extérieurs. Ceux qui ne suivent pas le mouvement ne résistent pas. Ils finissent par se condamner comme nous l'enseigne l'histoire. Il y a bien des philosophies qui ont disparu dans l'histoire, il y a des millions d'hommes qui ont disparu dans l'histoire parce qu'ils n'ont pas réussi à composer avec leur environnement. Le parti Ennahdha ne peut pas échapper à la règle générale et aux pressions du réel...
Parmi les facteurs extérieurs avec lesquels le parti Ennahdha a dû composer après le 14 janvier, le plus important selon vous est l'émergence des groupes salafistes et du parti Ettahrir. Vous soutenez que cette donne a été autrement plus influente sur Ennahdha que la concurrence des partis de la gauche. Comment l'expliquez-vous ?
Au retour de son exil de Londres, Rached Ghannouchi, comme tous les Tunisiens d'ailleurs, ne s'attendait pas du tout à cette émergence du phénomène salafiste. La raison est que Ben Ali a essayé d'instrumentaliser les salafistes en pensant que ce sont des mouvements apostoliques, quiétistes qui ne font pas de politique et qu'il peut utiliser pour affaiblir le poids politique d'Ennahdha. Mais il a découvert avec les évènements de Soliman que derrière la façade apaisée, quiétiste consacrée au prêche, il y a des groupes armés beaucoup plus dangereux que le mouvement Ennahdha lui-même. Ces groupes ont été arrêtés, condamnés. Certains ont disparu régulièrement ou à l'intérieur de réseaux dormants. Certains ont quitté le pays. Au lendemain de la révolution, ceux qui étaient en prison ont été libérés, ceux qui étaient à l'étranger sont rentrés, ceux qui étaient structurés en jihadistes sont aussi rentrés et tous ont constitué quelque chose d'énormément important dans le paysage tunisien. Ils ne s'évaluent pas à leur nombre mais à leur influence, leur visibilité, leur capacité de nuisance, l'éclat de leur action et surtout leur lien solide avec l'aile radicale d'Ennahdha. Ellouze, Chourou, Rached Ghannouchi qui déclare qu'ils lui rappellent sa jeunesse, Ali Laârayedh qui n'arrête toujours pas Abu Yadh. Il y a aussi leur coexistence avec les militants d'Ennahdha à l'intérieur des ligues de protection de la révolution qui sont apparues comme bras armés d'Ennahdha réunissant les anciens collaborateurs de Ben Ali et d'anciens délinquants. Embrigadés, passant à l'acte sous l'effet de slogans violents plus qu'avec des analyses, ils s'inscrivent dans la logique des mouvements fascistes en Europe et des gardiens de la révolution en Iran. Ils n'interviennent que contre les opposants et jamais contre Ennahdha et ses alliés.
Pourquoi un parti aussi structuré qu'Ennahdha et jouissant au moins de la base populaire qui lui a donné ses voix le 23 octobre doit-il recourir à des milices ?
Simplement parce qu'il n'est pas dans la logique de l'intégration de la démocratie et des règles de la démocratie. Il est obligé d'assurer ses arrières. Avec la théorie du «Tadafoô» de Rached Ghannouchi, Ennahdha ne peut pas s'inscrire dans la démocratie. Le « Tadafoô » c'est le rapport des forces, c'est le combat et c'est cela la logique du parti. Il n'y a pas un parti politique qui n'a pas sa logique mais elle doit s'articuler à la suprématie de l'Etat et aux règles démocratiques dans un Etat de droit. Dans l'absence de ces règles là, c'est normal qu'on cherche à avoir des troupes qu'on pourrait utiliser au besoin surtout quand on n'a pas l'intention de quitter le pouvoir. Le discours de Ghannouchi et les déclarations publiques de Harouni, Zitoune et autres ministres appartenant à l'aile dure de ce parti s'inscrivent dans cette logique.
De quelle manière précisément le parti Ennahdha a-t-il composé avec la donne salafiste ?
Quand il est rentré de Londres, Rached Ghannouchi a bien vu que la révolution est démocratique, que son inspiration est démocratique et que son parti n'a que le choix d'y souscrire. C'était d'autant plus facile que la révolution avait juste un souffle démocratique mais pas encore de projet. Si l'on s'arrête à la parole publique à laquelle les hommes politiques sont tenus, à ce moment Ghannouchi avait déclaré : « Il faut réussir la transition démocratique ! ». Mais quelque chose est venue changer l'équation quand il a découvert que le parti Ettahrir et les salafistes sont déjà incrustés dans la société tunisienne et risquent de s'approprier le maximum de son programme qui est fondamentalement un programme islamiste et non un programme démocratique. D'un autre côté, effarés au même degré par le phénomène salafiste, les modernistes ont cru trouver dans le parti Ennahdha un moindre mal et ont composé avec lui en réduisant le plafond de leurs demandes, se contentant simplement de demander à préserver l'article 1er de la Constitution de 1959. Le parti Ennahdha n'avait pas face à lui un Bourguiba, n'avait pas un élan national fort qui vient de se libérer ; il avait juste face à lui une opposition faible et divisée. Tout cela a fait qu'Ennahdha a révisé ses ambitions à la hausse et élevé le plafond de ses demandes plus du côté des groupes salafistes et du parti Ettahrir que du côté des démocrates et des modernistes. Aux élections, on a remarqué la réussite du clan le plus proche des salafistes et, conformément à son principe de «Tadafoô», Rached Ghannouchi ne peut que suivre les rapports de force...
Pensez-vous que l'impasse succédant à l'assassinat de Chokri Belaïd soit susceptible de changer ces rapports de force ?
Ce qu'il y a de nouveau aujourd'hui, c'est la donne de la société civile. Celle-ci n'est pas prête à céder le terrain gagné. Il y a la donne démocratique, il y a le besoin et la tendance au regroupement de l'opposition dictés par l'assassinat de Chokri Belaïd. L'initiative de Jebali d'un gouvernement apolitique donnait déjà à parier sur la naissance d'une force démocratique au sein d'Ennahdha et sur une explosion au sein de la troïka. C'est une nouvelle donne à fructifier dans un sens ou dans l'autre. Aujourd'hui ou demain, il y aura inévitablement une partie d'Ennahdha qui ira ou continuera à aller vers les salafistes et une autre qui choisira de s'inscrire dans la démocratie et le modernisme, comme cela s'est passé en Turquie entre Erdogan et Erbakan. Les mouvements se revendiquant de l'islam politique sont comparables à ceux de la démocratie chrétienne dans l'Europe de la fin du XIXe et début du XXe siècle, à ceux de la Turquie, d'Indonésie, du Maroc... Ils ont été partout soumis à la dialectique de la victoire et de l'échec. En Turquie, il y a eu la pression de l'armée et de l'Union européenne. Au Maroc, le parti «Justice et Progrès» s'est mis à défendre et protéger le royaume. En Indonésie, il y a eu séparation totale entre l'islam du prêche et l'islam du pouvoir... En Tunisie, nous avons une société civile libérale. Et c'est sa force qui devra conduire à séparer entre le prêche et le politique, entre le lourd héritage de la pensée des frères et l'adhésion au processus démocratique. En Tunisie, l'idéal serait de séparer les radicaux et les modernistes. Les radicaux seraient facilement marginalisés par les réussites de l'aile d'Ennahdha qui choisira de s'inscrire dans la démocratie et la modernité.
* «Le politique et le religieux dans le champ islamique », Fayard, 2005. «Islamisme, laïcité et droits de l'Homme», L'Harmattan, 1992


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