La trentaine, Hayet Omri, universitaire, chercheuse et inventrice, vient de se distinguer, en remportant la médaille d'or des Olympiades des jeunes inventeurs 2013, organisées à Hammamet du 22 au 24 février par l'Union européenne et auxquelles ont participé plus d'une centaine d'inventeurs et d'inventrices arabes, africains, dont 50 européens. Enseignante à l'Insat en tant qu'assistante contractuelle, depuis deux ans déjà, Hayet Omri possède sa propre association scientifique «@Valeur» et s'active en tant que membre dans plusieurs associations scientifiques européennes et autres. Elle a à son actif quatre inventions dans le domaine de la chimie organique sanctionnées par des brevets d'invention, la dernière datant de février 2012, et grâce à laquelle elle a remporté le prix de la meilleure invention. Tous ces travaux relèvent du développement de l'acide phosphorique purifié aux retombées économiques importantes au niveau de la diminution des coûts des techniques utilisées dans l'obtention de l'acide phosphorique pur. Née à Regueb, elle y a poursuivi brillamment ses études primaires et secondaires avant de suivre ses études supérieures à l'Insat où elle a obtenu une maîtrise et un master en ingénierie chimique industrielle en 2007. Etudes couronnées par l'obtention d'un doctorat en chimie appliquée avec mention très honorable, le mois dernier. Son ambition est de poursuivre ses recherches et de cultiver son esprit d'inventrice en continuant à relever les défis «à l'image de la femme tunisienne qui se distingue par sa volonté de réussite dans tous les domaines de la vie», affirme-t-elle. Elle évoque dans cet entretien son parcours et les difficultés d'être jeune chercheuse et inventrice dans un environnement qui se caractérise par la passivité face à la recherche et aux inventions qui, pourtant, constituent un enjeu économique de taille pour le pays. Gros plan sur une success story. Que signifie pour vous la journée du 8 mars ? Cette journée est une occasion pour célébrer la femme dans le monde entier, mais surtout la femme tunisienne qui, dans la conjoncture actuelle, doit s'attacher à défendre et à sauvegarder ses droits et ses acquis. Je suis optimiste car je pense que la femme tunisienne a le sens du défi, une volonté de fer qui lui permettra de vaincre tous les obstacles et de réussir à marquer de son empreinte tous les domaines de la vie. D'où vient votre passion pour les domaines scientifiques et la recherche ? J'étais très douée dans les matières scientifiques, entre mathématiques, physique et chimie. Malgré les moyens limités de mon village natal, Regueb (gouvernorat de Sidi Bouzid), je lisais beaucoup, je fouinais, j'avais un esprit de chercheuse dès ma tendre enfance. Mon père, que Dieu le garde, est également pour beaucoup dans ma réussite. Il m'a beaucoup encouragée car pour lui, le savoir est sacré et il s'est sacrifié pour la réussite de tous ses enfants. En quoi consiste votre invention et quels sont ses avantages ? Elle consiste en la purification de l'acide phosphorique de voie humide. Autrement dit, cet acide qui contient beaucoup d'impuretés était limité au secteur des engrais et fertilisants et mes travaux ont procédé à l'élimination de ces impuretés pour obtenir un acide technique pur à hauteur de 90%. Acide qui peut être utilisé dans d'autres domaines comme les boissons gazeuses, les produits pharmaceutiques et alimentaires, ainsi que les ciments dentaires et les produits d'entretien. Sachez que jusqu'ici, la purification de l'acide phosphorique n'a pas dépassé la hauteur de 50%. D'où les avantages et retombées économiques de mon invention qui évitera l'importation de la silice active aux coûts très élevés, si jamais elle est appliquée. Justement, votre invention sera-t-elle appliquée? Le problème c'est que le Groupe chimique tunisien n'est pas intéressé par mes inventions, au nombre de quatre, et ce, depuis l'année 2008, concernant la purification de l'acide phosphorique et l'alimentation du rendement. Le Maroc, à travers l'OCP (Office chérifien des phosphates), est très intéressé par mes recherches et inventions. J'ai été sollicitée pour l'application dans le domaine industriel. Mais j'ai refusé car je préfère que ce soit mon pays, dont l'économie est en grande partie basée sur le phosphate, qui en profite. Cela d'autant que le Maroc est notre concurrent direct dans ce domaine, et que la Tunisie risque de perdre ainsi des marchés. Je suis étonnée par le silence et la passivité du Groupe chimique tunisien qui dispose pourtant de dizaines de milliards pour la recherche scientifique, mais il se limite à appliquer les idées des étudiants qui y effectuent leurs projets de fin d'études. Justement quels sont les problèmes que vivent les jeunes chercheuses ? Qu'ils soient hommes ou femmes, les jeunes chercheurs souffrent d'un manque de soutien et de moyens financiers et matériels. Les chercheurs, pour la plupart, ne bénéficient ni de bourses, ni de salaires et sont dans l'obligation d'être entretenus par leurs parents jusqu'à un âge avancé, 30 ans et même plus. Au plan universitaire les jeunes chercheurs se heurtent à des problèmes relevant de mentalités consistant à jalouser les jeunes et à leur mettre des bâtons dans les roues par pur égoïsme et mégalomanie. Et j'en ai souffert. Pis encore, les inventions scientifiques ne sont pas prises en compte dans les dossiers de recrutement à l'université. Parlez-nous de la médaille d'or des olympiades des jeunes inventeurs Je suis très active dans la vie associative, j'ai ma propre association «@Valeur» qui se focalise sur la valorisation de la recherche scientifique au service de l'économie tunisienne pour le développement du pays : «entreprise-université-recherche». C'est par l'intermédiaire de mon association et grâce au contact de la Fédération européenne des inventeurs que j'ai participé sur dossier aux olympiades internationales des inventeurs en septembre 2012 où j'ai obtenu le 5e prix de la meilleure invention dans le domaine de la chimie organique. Prix décerné par l'Union européenne. En 2013, c'est l'apothéose, puisque j'ai obtenu la médaille d'or des olympiades des jeunes inventeurs organisées cette année à Hammamet. Avez-vous reçu des offres de pays étrangers ? Oui du Maroc et des Etats-Unis entre autres. Je suis encore assistante contractuelle et j'ai décidé de rester dans mon pays au cas où je réussirais au concours de maître-assistant et au cas où mes recherches seraient appliquées dans mon pays. Sinon, je vais prendre une autre décision car mon optimisme a des limites, puisque j'attends depuis 2008 que mon travail soit pris en compte. Mon ambition n'étant autre que de continuer la recherche. Que conseillez-vous aux jeunes chercheuses et chercheurs? Je leur conseille d'avoir un esprit de recherche et d'être autonomes dans leurs idées.