Par Abdelhamid GMATI Le nouveau Premier ministre désigné a enfin présenté la composition de son nouveau gouvernement. Mais le feuilleton est-il pour autant terminé et la crise politique dénouée ? Rien n'est moins sûr, vu les premières réactions des composantes de la scène politique. Il faudra d'abord avoir l'aval de l'ANC, ce qui sera fait mais dans la douleur. Puis ce sera au tour du peuple, ce qui est beaucoup plus hypothétique. Les partis politiques ne cachent pas leurs désillusions. «Le gouvernement est une copie revue de celui de la troïka», estime Al Joumhouri ; pour Wafa, «c'est un gouvernement cloné sur celui de la troïka» et pour Al Aridha, «le nouveau gouvernement est un clone mal formé du gouvernement Jebali». Cela veut dire que la crise va perdurer, d'autant qu'indépendamment des nouvelles personnalités choisies ou maintenues. Certes, on a fait appel à des indépendants pour les ministères régaliens mais rien n'a été dit concernant les principales revendications politiques et populaires. Qu'en sera-t-il de la violence politique ? Va-t-on dissoudre les Ligues de protection de la révolution ? Va-t-on assurer la sécurité du pays et des citoyens ? Est-ce que les innombrables nominations partisanes dans l'administration publique nationale et régionale seront supprimées voire révisées ? Le président de l'Union tunisienne du service public et de la neutralité de l'administration a établi que 87% des responsables administratifs sont de la troïka dont 93% sont nahdhaouis. Aucune réponse concrète n'a été fournie à part des généralités relevant de la langue de bois. En attendant, beaucoup d'événements et faits sont passés sous silence. Ainsi de l'Assemblée nationale constituante qui ne parvient pas à livrer une feuille de route convaincante. Le Premier ministre a suggéré la fin novembre 2013 comme date pour les prochaines élections mais cela relève de l'ANC. Là, le groupe parlementaire d'Ennahdha propose la première quinzaine d'octobre ; le groupe parlementaire parle du 3 novembre ; le président de l'ANC espère le texte final de la Constitution pour la fin avril puis pour fin mai; le président de la République parle du mois de septembre pour les présidentielles et du mois d'octobre pour les législatives ; l'association Al Bawsala affirme quant à elle que la réalisation de la Constitution et de la loi électorale ne sera achevée que vers le 12 janvier 2014. Le flou demeure. Les élus, eux, s'occupent de choses de moindre importance comme des modalités de remise de documents ou de ce que disent ou ne disent pas les journalistes. Al Bawsala a évalué le rendement des élus et déplore, entre autres, le manque d'assiduité, le nombre moyen des présents se situant à 90 sur 217. Le président de l'Association tunisienne de transparence financière a révélé les dépenses de l'Assemblée : frais de représentation et de voyage (100.000 dinars), frais de réception (100.000 dinars), frais de séjour dans les hôtels et de restauration (200.000 dinars), maintenance et entretien (360.000 dinars), carburant (150.000 dinars), communication (120.000 dinars), etc. Entre-temps, en guise de protestation contre les augmentations des carburants, les stations-services annoncent le gel de leurs activités les 15, 16 et 17 avril prochain et les taxis seront en grève le 18 mars. Mais la meilleure nouvelle est cet accord sur la certification des produits halal conclu jeudi dernier entre l'Innorpi et le cabinet du mufti. La convention concerne les produits agroalimentaires visant à instaurer «un système national de certification des produits halal basé sur les règles islamiques et conforme aux normes tunisiennes». Il est question aussi de la «mise en place d'une marque nationale halal et la mise à jour des normes dans ce secteur». Un produit halal est un produit qui répond aux règles islamiques, notamment en ce qui concerne la méthode d'abattage, l'hygiène et le respect de l'animal. Voilà qui va conforter les Tunisiens. Depuis des siècles qu'ils croyaient consommer en respectant les règles islamiques et les traditions, cette nouvelle va leur faire croire qu'ils avaient tout faux et qu'ils étaient dans le haram sans le savoir. On peut se demander : «Pourquoi cet accord ?». En Europe et ailleurs, des dizaines d'entreprises, restaurants, hôtels se sont lancés dans le halal. Et cela touche plusieurs domaines, pas seulement l'agroalimentaire : les cosmétiques, les produits d'hygiène, les désodorisants, les savons, les shampoings, les désinfectants, les bonbons, les sucettes, il y a même des bières, du whisky et du champagne. Et cela rapporte gros. Une simple affaire de marketing. Est-ce le cas chez nous ? Qui va délivrer le certificat «halal» ? Les services du mufti ? Ou ces imams qui passent leur temps à décréter de simples activités de loisirs comme «haram» ? Cela ne sera pas fait gratuitement. Les pauvres bouchers vont avoir des frais supplémentaires. Et pour l'Aïd, comment faire ? Et qui va certifier la viande que nous importons ? Puisqu'on est dans le «halal» et le «haram», pourquoi ne pas statuer sur la violence, les menaces de mort, les assassinats, la pauvreté, le chômage, l'ignorance, l'incompétence, les faux dévots ?