Habib Khedher, constituant nahdhaoui et rapporteur général de la constitution, a-t-il perdu la bataille de devenir le pivot du palais du Bardo? La question mérite d'être posée puisqu'à la lumière de l'amendement, hier, de l'article 91 du règlement intérieur de l'ANC, l'élu nahdhaoui n'aura plus la possibilité d'intervenir à n'importe quel moment lors de la discussion du projet de la constitution ou des projets de loi ordinaires ou organiques. L'ancienne formulation de l'article en question ouvrait, en effet, la voie au rapporteur général de la constitution de parler à volonté, ce que plusieurs constituants contestaient déjà et considéraient comme un chèque en blanc offert à Ennahdha pour faire passer sa vision et ses propositions. Maintenant que ce point de discorde est levé, peut-on affirmer que les constituants vont, enfin, se consacrer entièrement à leur mission initiale, à savoir la rédaction et l'adoption de la constitution, la mise en place des instances de la magistrature et de régulation des médias ainsi que la mise en place de la nouvelle loi électorale sur la base de laquelle se dérouleront les prochaines élections. La Presse a approché certains constituants pour sonder leurs attentes quant au programme d'action futur que l'ANC doit élaborer en vue des prochaines échéances. Naceur Brahmi (constituant indépendant) : L'impasse est dépassée L'article 91 (nouveau) du règlement intérieur de l'ANC, voté hier lors de la séance plénière, retire au rapporteur général de la Constitution ce rôle hégémonique d'intervenir dans la discussion des amendements proposés par les constituants, que ce soit pour les différents articles relatifs à la prochaine constitution ou pour les projets de lois, qu'elles soient ordinaires ou organiques. L'ancienne formulation de l'article amendé lui donnait, en effet, l'opportunité d'intervenir à tout moment. Il ne peut plus être considéré comme le pivot de la constituante comme certains l'ont avancé ou comme lui-même le voulait, soutenu par son parti. Maintenant que cette impasse est dépassée, à la suite d'âpres discussions, on s'attend à ce que l'ANC se consacre à sa mission essentielle, sans calculs partisans. Quant à la mise en place des instances que tout le monde attend, nous sommes en train de discuter pour définir un calendrier précis et je pense que la voie est désormais dégagée afin de pouvoir être dans les délais. Nadia Chaâbane (constituante d'Al Massar) : Nous appelons à une loi sur le calendrier attendu Le rapporteur général de la Constitution cherchait à jouer le rôle d'arbitre au-dessus de la mêlée au sein de l'ANC. L'article 91, dans son ancienne formulation, lui ouvrait grande la voie pour assurer cette fonction. Et derrière cette volonté, il y avait d'importants enjeux politiques inavoués. Sachant que la Constitution peut être adoptée sans qu'il y ait de cour constitutionnelle à laquelle on peut avoir recours pour attaquer la constitutionnalité d'une loi ou d'une autre ou même d'un article de la Constitution elle-même. Maintenant que la voie est ouverte, on doit s'attendre à ce que l'ANC accélère le rythme de ses travaux et à ce que les délais qui sont sur le chemin de constituer l'objet d'un accord général soient respectés. Le groupe démocratique a déposé un projet de loi appelant à ce que le calendrier qui résultera des discussions à l'ANC soit consigné dans une loi qui sera appelée loi-calendrier. Tarak Bouaziz (constituant indépendant) : Un amendement qui ne résoudra pas le problème du calendrier Je pense que l'amendement introduit sur l'article 91 réduira les interventions relatives aux amendements à introduire sur les projets de loi ou sur la discussion du projet de la Constitution. Seulement, je ne crois pas qu'il résoudra le problème du calendrier dans la mesure où notre classe politique, qu'elle soit au pouvoir ou dans l'opposition, sans oublier les constituants qui se disent indépendants, n'est pas disposée à se libérer de ses calculs partisans et accepter de faire les concessions qu'il faut. La solution est que les politiciens de la post-révolution comprennent que la gestion de l'étape actuelle est différente de la situation d'avant le 14 janvier 2011 quand tout le monde était opposé à la dictature de Ben Ali. Pour moi, le dialogue et l'écoute de l'autre demeurent la solution la plus indiquée pour surmonter nos divisions et dissensions et avancer sérieusement sur la voie de la concrétisation des objectifs de la révolution. Ahmed M'chargui (constituant d'Ennahdha) : Un faux problème Je pense que l'amendement de l'article 91 du règlement intérieur de la Constituante et la polémique qui l'a accompagné constituent un faux problème parce qu'au final, Habib Khedher a toujours la possibilité d'intervenir soit en sa qualité de rapporteur général de la Constitution, soit en sa qualité de constituant. Seulement, au départ, quand nous avons adopté ce fameux article, nous ne savions pas qui sera le rapporteur général. Quant Habib Khedher a été élu à ce poste, les collègues constituants ont changé de position. Je pense que ce revirement était impossible si l'on pratiquait en Tunisie la politique avec l'éthique qui devrait l'accompagner normalement. Malheureusement, le discours politique ambiant chez nous est un discours de sophistes. Quant à l'accélération des travaux de la Constituante, nous y sommes pleinement dans la mesure où nous avons discuté du calendrier définitif des prochaines élections et principalement l'adoption de la Constitution qui devrait intervenir en juin ou au plus tard en juillet prochain. En parallèle, nous ferons tout pour que les instances soient mises en place dans les délais, avec une priorité absolue pour le prochain Code électoral. Tout le monde à l'ANC est convaincu de la nécessité d'accélérer le rythme de notre activité mais sans, toutefois, tomber dans la précipitation.