La manière dont a été engagée la bataille de Bizerte suscite encore des critiques. Les opposants d'hier et d'aujourd'hui pensent que cette station fatale dans l'histoire contemporaine tunisienne garde encore une part de son mystère. Afin de mieux appréhender les dessous de cette bataille, La Presse a donné la parole au colonel à la retraite Boubaker Ben Kraiem, à l'occasion de la parution de son livre Naissance d'une armée nationale. (Voir ci-contre). On lit dans votre livre que le président Bourguiba cherchait à faire la guerre de Bizerte tout en étant sûr de son résultat négatif, et que son objectif était juste de se refaire une virginité par rapport à l'Orient arabe et surtout à son rival politique, le président Nasseur, qui le considérait comme étant anti-arabe. Voulez-vous mieux expliciter cette information ? Laissez-moi vous dire dès le départ que la guerre se fait suite à une décision politique. Cela m'amène à affirmer que la bataille de Bizerte a été décidée par le leader du Néo-destour, Habib Bourguiba. Cette décision a été prise suite à sa réunion avec le président de Gaulle à Rambouillet le 27 février 1961. Une réunion qui a été marquée par un échec cuisant concernant l'évacuation de Bizerte. Je veux dire qu'avec de Gaulle, le président Bourguiba s'est trouvé devant un nouveau gouvernement qui n'était prêt à aucun compromis. D'autant plus que sa méconnaissance de Gaulle l'a empêché d'estimer rationnellement les faits. En d'autres termes, il avait tort en pensant que la France, grande puissance militaire, n'allait pas tirer sur une armée tunisienne fraîchement née et en flagrant manque de moyens. Il avait également tort en engageant des jeunes désarmés et sans formation militaire, mais aussi, en agissant d'une manière individuelle sans prendre l'avis des ses commandements militaires. L'hypothèse que l'on avance depuis est que si Bourguiba avait attendu encore quelques mois et s'il avait pris l'avis de ses hommes militaires, les dégâts énormes de la guerre de Bizerte auraient été évités. Selon certains historiens et observateurs, le président Bourguiba a déclenché la guerre de Bizerte, poussé par l'échec de ses négociations avec le président de Gaulle concernant une rectification des frontières au niveau des entrailles du bout du Sahara regorgeant de 60% des réserves sahariennes de pétrole en contrepartie du maintien de la base aéronavale de Bizerte sous le règne des Français. Qu'en dites-vous ? Je ne peux pas nier cette possibilité. Sachant que Bourguiba défendait la thèse du Sahara un «bien commun à toute l'Afrique». D'ailleurs, il en a fait une campagne auprès des Etats riverains du Sahara tels que le Mali. Mais, je suppose que de Gaulle a manifesté un refus catégorique puisqu'il était en train de négocier l'indépendance de l'Algérie. Quelles seraient les réformes à opérer par notre armée afin d'être en phase avec les profondes mutations qui secouent la région maghrébine sur le plan sécuritaire ? Je pense qu'il est temps de doter l'armée nationale de tous les moyens nécessaires à son développement. De ce fait, il faudra lui allouer un budget allant de pair avec ses besoins, surtout en équipements. Cette attitude ne veut pas dire que je suis pour sa professionnalisation. J'opterais plutôt pour une armée de contingents proche du peuple, qui contribue au développement économique et social du pays. Sinon, il y a lieu de noter que l'armée peut jouer un rôle de choix dans la question de l'emploi. Ce, en engageant annuellement 70 mille jeunes au lieu de 25 mille. Cela permettra de les encadrer et de les faire bénéficier d'une formation professionnelle au lieu de les laisser traîner dans les rues et les cafés. En adoptant cette orientation, nous aurons chaque année 45 mille chômeurs en moins.