Par Pr Jamel Trabelsi (Université Louis-Pasteur - Strasbourg) La dégradation des finances publiques dans les Etats européens a entamé le moral des investisseurs et a généré un mouvement de panique sur les marchés boursiers. Les plans d'austérité dans la zone euro risquent de briser la reprise des économies européennes tout juste convalescentes. La sortie de crise est tributaire de la capacité des Etats européens à créer une autorité budgétaire suivant une structure fédéraliste complémentaire à l'autorité monétaire. La création de fonds de garantie des dettes publiques constitue un signe d'espoir mais demeure insuffisante et n'apportera pas de solutions définitives à la crise européenne. En effet, tant que les institutions fonctionnent avec une Europe unijambiste (seulement avec une autorité monétaire), ils seront dans l'incapacité de faire face aux mouvements de spéculations et on assistera à l'effondrement de pays fragiles comme l'Espagne, le Portugal… Suivant ce scénario, l'Europe connaîtra une récession plus profonde et plus persistante et les retombées économiques sur les pays riverains seront conséquentes. De surcroît, les plans de rigueur, annoncés par les pays de la zone euro pour contenir les déficits et rassurer les marchés, sont autant de risques qui peuvent freiner la croissance à venir. Selon l'Ocde, la croissance économique, estimée initialement à 2.7 % du PIB en 2010 et 2.8 % en 2011 sera moins forte dans la zone euro, seulement 1.2 % en 2010 et 1.8 % en 2011. Pour l'Ocde, la menace de la dette est réelle et peut provoquer des déséquilibres mondiaux. La zone euro risque, en effet, de payer le prix fort de ses plans d'austérité alors que les autres pays comme les Etats-Unis, le Japon, la Grande-Bretagne qui ne sont pas contraints par des pactes de stabilité peuvent relancer leur machine économique en accentuant leurs déficits budgétaires. La crédibilité de long terme de l'extraordinaire virtuelle intervention budgétaire des principaux gouvernements européens et la garantie des dettes publiques de la zone euro constituent le seul rempart contre les attaques spéculatives et le déclenchement des phénomènes de contagion. Le tableau relativement pessimiste de la situation économique actuelle et future de la zone euro ne reflète pas forcément l'avenir de l'économie tunisienne. La forte capacité de résistance, assertée par les institutions internationales de notre économie face à la crise de 2008, laisse prévoir des retombés limitées des bouleversements économiques dans la zone euro. Soutenabilitédes finances publiques et bonne gestion du risque international Durant cette crise, notre économie était confrontée à la dégradation de la demande interne de la zone euro. Les facteurs essentiels qui ont contribué à la résilience de l'économie tunisienne face à cette crise sont la dynamique soutenue de la demande interne et la bonne gestion de l'ouverture économique. En effet, l'investissement privé qui a contribué au cours de cette dernière décennie à la croissance du PIB n'a jamais fléchi en progressant de près de 5 points à environ 26.5% du PIB (en glissement annuel) en 2010. Cette dynamique a été consolidée par la progression des flux d'investissements directs étrangers (IDE) en passant de 1094 MD en 2005 à 2100MD en 2009. Cette progression, touchant tous les secteurs économiques, a accompagné la mutation de l'économie vers des secteurs à plus haute valeur ajoutée. Le point fort de l'économie tunisienne réside dans sa capacité à reléguer les filières en déclin au second rang et mettre en avant les secteurs d'activité à forte valeur ajoutée. La montée en puissance des industries mécaniques et électriques suite au déclin progressif des industries de textile et d'habillement en constitue une parfaite illustration de la capacité de l'économie tunisienne à contenir les méfaits de la fin des accords multifibres en 2005. Le financement de l'économie tunisienne est soutenable grâce à une gestion saine des dépenses publiques, de déficit budgétaire et surtout d'une épargne nationale importante. Cette situation offre une marge de manœuvre supplémentaire pour relancer l'économie tunisienne en cas de récession. L'instrument budgétaire sera de taille en cas de la persistance de la crise européenne pour accompagner de nouveaux projets d'investissement et aborder sereinement la prochaine phase de son développement. La Tunisie a réussi à contenir en partie les méfaits la crise 2008 grâce à la bonne tenue de ses fondamentaux, particulièrement la balance de paiement, qui a constitué dans le passé le principal canal de crise (première génération de crise en Amérique Latine). Cette immunité profonde tient à la capacité de la Tunisie à s'inscrire dans une logique «régulatrice» des marchés financiers dont le dosage «capitalisme» est parfaitement ajusté à la structure économique. Un indicateur révélateur de cette bonne gouvernance est le maintien de l'encours des crédits à des niveaux conformes, ne dépassant pas 10% du PIB. Cette politique monétaire prudente a été consolidée par la volonté des autorités de préserver et de maîtriser les placements des avoirs en devises à l'étranger, le recours aux marchés financiers internationaux. Consolidationdes atouts En somme, la dynamique de la demande interne, le progrès réalisé en matière de diversification, notamment vers les activités à plus forte valeur ajoutée consolidée par les flux des IDE, la soutenabilité des finances publiques et la bonne gestion du risque international constituent les principaux facteurs de la résilience de l'économie tunisienne. Les atouts de notre économie doivent être consolidés et diversifiés. En effet, les secteurs représentant plus de 60% de nos exportations vers la zone euro, comme le textile, l'habillement et les composants automobiles, seront encore affectés par la crise de la zone euro. Pour pallier le potentiel fléchissement à court terme de ces secteurs, il sera judicieux de relancer le secteur primaire (agriculture, énergie) qui a relativement perdu du terrain lors de la crise 2008 et qui comporte à peu près 19% de la valeur ajoutée, persévérer dans la politique de modernisation du secteur touristique (le tourisme d'affaires et le tourisme médicale) qui a tiré son épingle du jeu durant la crise 2008. Les directives présidentielles visant, en effet, à promouvoir les projets innovants dans les secteurs électronique, chimique et textile généreront une dynamique d'investissement et de croissance plus soutenue et renforceront l'immunité de notre économie face aux méfaits des facteurs extérieurs. J.T.