La symbolique du 20 mars et de sa commémoration en tant que date phare du recouvrement de la souveraineté nationale mérite, deux années après le 14 Janvier, une fière réhabilitation, dans la logique d'une vaste réconciliation entre le mouvement national historique, que chapeautait le leader Habib Bourguiba, et les différentes écoles de pensée rivales, qu'elles soient issues de la résistance au colonisateur où qu'elles aient percé par la suite dans l'euphorie nassérienne du nationalisme arabe triomphant, puis du baâthisme et enfin de l'islamisme. Quelle que soit l'approche que l'on puisse privilégier, personne ne peut se permettre aujourd'hui de mettre en cause l'acte d'indépendance politique acquis par la Tunisie à la date du 20 mars 1956. Mais il est utile, par ailleurs, de remonter aux sources du déchirement historique pour en re-baliser les significations et les soubassements en vue d'en décortiquer les divers enchevêtrements. La discorde ayant frappé les rapports entre Bourguiba et Salah Ben Youssef, suite à l'opposition de ce dernier au protocole d'autonomie interne conclu entre la France et la Tunisie, a fini par diviser le mouvement national et par conditionner l'attitude de certaines familles politiques à l'égard du nouveau régime dont Bourguiba est vite devenu le maître absolu. Particulièrement après l'arbitrage de l'Ugtt et le congrès du Parti destourien tenu à Sfax avec l'appui logistique de la prestigieuse organisation syndicale. Mais, n'eût été le rapprochement du leader Salah Ben Youssef avec le zaïm Jamal Abdennasser, le secrétaire général du Néo-Destour aurait probablement adhéré sans hésiter à l'octroi de l'autonomie interne, une idée qu'il avait tant caressée lorsqu'il faisait partie du deuxième gouvernement Chenik. La déception qu'avait causée par la suite le revirement de la France et son intransigeance, l'avaient conduit à migrer, alors qu'il était en exil en Egypte, vers des positions plus radicales, «anti-impérialistes», conformes aux résolutions issues de la Conférence de Bandung, où il avait représenté le mouvement national tunisien et l'ensemble de l'Afrique du Nord. Des résolutions inspirées par le lobby pro-soviétique qui représentaient un tournant aussi bien pour les non-alignés que pour Abdennasser, désormais champion de l'émancipation de la nation arabe «de l'océan au Golfe». Revenu en Tunisie au mois de septembre 1955, soit plus de quatre mois après le retour triomphal de Bourguiba, désormais leader officiel du pays sous l'égide du Bey et avec l'accord de la France, Salah Ben Youssef s'est appliqué à rallier tous les maximalistes et à mobiliser tous ceux que la stratégie moderniste du Néo-Destour, qu'il connaissait bien, pouvait déranger. Et notamment une frange de l'ancien Destour, les cheikhs de la Zitouna, les fellaghas de certaines tribus et quelques régions où il avait audience comme le Sud et Djerba, son île natale. Mais l'histoire retiendra la douloureuse chasse aux sorcières à laquelle seront soumis les «youssefistes» les plus tenaces et le climat de guerre civile fratricide qui avait divisé les patriotes jusque dans les quartiers ayant symbolisé la résistance et au sein des familles. Au point que l'on peut légitimement commémorer le martyre de tous ceux, «bourguibistes» ou «youssefistes», qui sont tombés dans ces absurdes combats entre militants patriotes. En ce 57e anniversaire de l'indépendance, alors que le pays recherche avec bien des espoirs un consensus vital que le nouveau gouvernement entend concilier avec la légitimité électorale dont il se prévaut, il est temps que la Tunisie sache retrouver les voies d'une réconciliation autour d'un fruit historique qu'elle avait fièrement cueilli au terme des terribles sacrifices avancés par plusieurs générations : l'indépendance nationale. Afin que celle-ci soit reconnue par toutes les franges de Tunisiens comme un acquis ayant, quoi qu'il en soit, conditionné l'autodétermination, la construction nationale, le développement du pays et l'émancipation de l'ensemble du peuple tunisien. Ce peuple qui a voulu, par sa révolution, se garantir à l'avenir la dignité pour tous ses enfants, et la liberté la plus totale, dans la démocratie et le respect de toutes les expressions.