Ils étaient unis, ils ne le sont plus. Al Massar et Al Qotb, qui étaient dans le mental des Tunisiens et dans la pratique politique une seule entité indivise, se sont dissociés. Mais la confusion persiste. Le nom, le sigle, la couleur, bref la marque de fabrique étant la même, les promoteurs ont changé. Qu'en est-il au juste ? Qui est Al Qotb ? Qui se cache derrière Al Qotb bis ? Initialement, Al Qotb, le Pôle démocratique moderniste, désignait une alliance électorale conçue la veille des élections du 23 octobre avec plusieurs partis politiques, dont notamment Ettajdid et quelques indépendants, dont notamment Fadhel Moussa. Une fois les élections faites avec le résultat que l'on sait, le Pôle ayant recueilli cinq sièges à l'ANC occupés par Ahmed Brahim, Selma Baccar, Nadia Chaâbane, Samir Ettaïeb et Fadhel Moussa. Une rencontre s'est tenue, l'année dernière au mois d'avril dans un hôtel de la capitale, pour décider de l'avenir de cette union. Il a été alors, d'un commun accord, décidé de créer un nouveau parti politique, Al Massar. Une appellation dépourvue de toute réminiscence cognitive des partis membres ; les partis Ettajdid, celui Travailliste tunisien, le collectif des indépendants ... Al Massar se voulait une nouvelle famille, un mouvement fédérateur où tout le monde se retrouve. Or, quelques semaines après, pendant l'été, des indépendants ont décidé de faire scission pour former un nouveau parti, qui s'appellera, surprise : Al Qotb, avec Riadh Ben Fadhel comme coordinateur général. Stupeurs et tremblements! Il y a eu des coups de colère, des envies pressantes de traduction en justice de « l'usurpateur ». Mais les choses en sont restées là. L'opinion publique ainsi que les médias occupés par un imprévu tous les jours, la scission fut un non-événement. Depuis quelque temps, Al Qotb bis, disons, fait son petit bonhomme de chemin. Riadh Ben Fadhl multiplie les sorties médiatiques et les déclarations, pour expliquer son geste : « Les concertations autour d'une éventuelle adhésion d'Al-Qotb au Front populaire, précise-t-il, sont en cours, dans le but de créer un mouvement de gauche démocratique ». M. Ben Fadhl ne manque pas de préciser que « Al-Massar a préféré rejoindre l'Union pour la Tunisie sans pour autant prendre l'avis des structures, nous obligeant ainsi d'accepter le fait accompli ». Le coordinateur général, n'attend pas, d'ailleurs, pour annoncer un imminent rapprochement avec le Front populaire, les contacts étant en cours, a-t-il fait valoir « au sujet des aspects organisationnels et des actions de terrain ». Un geste immoral et légal Réaction des cinq représentants de la Voix démocratique à l'ANC, Al Massar, qui annoncent sur leur page officielle leur indépendance par rapport au parti Al Qotb, et de préciser notamment que « le Pôle démocrate moderniste dit Al Qotb, récemment constitué par un groupe, s'est approprié et l'histoire et le patrimoine de quatre partis et de cinq initiatives citoyennes. Ce qui est inadmissible», selon les députés d'Al Massar. Par le passé, on avait des hommes d'affaires de droite, on va avoir des argentiers de gauche, s'exclame Samir Ettaïeb, à La Presse, pour continuer : « Il prend la marque commerciale et l'enregistre en son nom, est-ce ça un comportement politique ? Dignity Act qu'il est en train d'utiliser, c'est nous qui l'avons rédigé, Fadhel Moussa et moi-même. La majorité des indépendants du pôle sont pour le moment dans Al Massar. C'est une usurpation d'identité, ni plus, ni moins. Nous avons publié un communiqué serein et on en reste là, nous nous plaçons au dessus de la polémique ». Même son de cloche chez Habib Kazdaghli, doyen de faculté de La Manouba, militant historique des partis de gauche, et membre d'Al Massar, qui juge cette action immorale, mais non illégale, précise-t-il à La Presse. « Puisque Al Qotb n'était pas un parti, c'était une alliance électorale », mais il est vrai, a-t-il nuancé, que la confusion persiste, puisque M. Ben Fadhl s'est approprié le nom, le sigle, et même la couleur noire. A notre question, pourquoi au moment où l'opposition est accusée d'être minée par sa faiblesse et inconstance, de pareilles pratiques se perpétuent? Habib Kazdaghli en prenant la précaution de dire que M. Ben Fadhl saura mieux le dire, ajoutera, toutefois, qu'il y a des gens qui aiment être chefs. Dans le temps, il nous reprochait d'être à gauche, maintenant il s'est rallié avec l'extrême gauche et constitue un parti en s'appropriant tout l'héritage du pôle, mais les gens finiront par comprendre, rassure-t-il. Quant à nous, depuis qu'Al Masser a été constitué, nous avons annoncé que l'union va se faire avec ces partis, de centre gauche et de la gauche démocratique dont Nida Tounès et Al Joumhouri, cela a été discuté ouvertement, c'est un choix, parce que le vrai risque, selon notre conviction, se situe ailleurs du débat gauche-droite, conclut-il. Le clivage se situe entre gauche-droite Pendant ce temps, le parti Al-Qotb continue son petit bonhomme de chemin par des actions médiatiques qui tapent. Trois meetings populaires sont organisés coup sur coup, dont le premier s'est tenu hier avec la participation, notamment, de Nayef Hawatmeh, secrétaire général du Front démocratique de libération de la Palestine. Contacté par La Presse pour réagir, Riadh Ben Fadhl donne son explication : «Nous pensions prendre un nouveau départ avec la constitution du parti Al Massar, qui reconnaîtrait l'existence de courants du Pôle. Or, le cahier des charges d'Al Massar n'a pas été respecté. De plus nous avions aussi une divergence sur la question des stratégies d'alliance. Donc nous sommes 77 indépendants du Pôle, à avoir décidé d'aller vers la création d'un parti pôle. D'un autre côté, les députés de l'ANC sont tous affiliés à Al Massar, ils n'ont rien à voir avec le parti. Le Pôle est un parti commun avec un logo et un patrimoine qu'Al Massar n'a pas voulu s'approprier. Oui, le patrimoine du Pôle est un patrimoine commun et nous sommes fiers de le porter. Nous puisons nos racines du patrimoine démocratique, et nos chemins vont se croiser. Nous sommes aujourd'hui pour la constitution d'un front de la gauche démocratique pour donner à la question sociale et économique toute sa valeur. Nous revendiquons pleinement le clivage idéologique, politique et culturel gauche-droite, pour pouvoir défendre le projet sociétal. Il ne peut y avoir victoire des forces démocratiques républicaines que si la gauche clive politiquement pour mieux s'allier électoralement ». Au-delà de ces discussions plutôt byzantines pour le commun des mortels, un seul constat. Visiblement, les leçons des dernières élections n'ont pas été suffisamment tirées. Les alliances se font et se défont tous les jours. Les jeux des votes, dissidences et nouveaux ralliements, des partis qui poussent toutes les semaines. Une offre pléthorique pour une opinion publique, perdue, et en perte de confiance. Les combats fratricides continuent à affaiblir une opposition qui, dans les faits, ne pèserait que 45 voix, si l'on compte le vote de confiance du nouveau gouvernement. Et pendant que les uns crient sans se faire entendre que la lutte gauche-droite est dépassée, que le défi de la Tunisie aujourd'hui se situe entre deux projets de société qui s'affrontent. La guerre des ego continue sur sa lancée. Qu'on se le dise. Si les partis au pouvoir eux aussi offrent un piètre spectacle, c'est plus par leurs erreurs que la force de leurs contradicteurs.