Muhtesem Yüzyil ou Harim Esoltan est actuellement le feuilleton le plus populaire en Turquie, dans les pays du Maghreb et d'Europe de l'Est. Il raconte les amours de Soliman le Magnifique, le plus fameux sultan de l'Empire ottoman (1520-1566). Ce feuilleton écrit par le scénariste Meral Okay, et dont la troisième partie vient d'être livrée aux distributeurs des programmes télé, raconte les intrigues du palais de Soliman et les rivalités du harem, sur fond de conquêtes militaires. Le suspense, les intrigues bien ficelées et qui ne finissent pas, les dialogues pas du tout bavards, le jeu d'acteurs très nature, les beaux costumes d'époque, la sobriété des décors, les scènes de bataille bien menées, la musique dramatisante et la manière de filmer, qui n'ont rien à envier à celles des grandes séries mondialement connues, ont vite fait d'accrocher des millions de spectateurs mus par le besoin vital d'évasion. Mais ce feuilleton diffusé pour la première fois, il y a deux ans, n'a pas manqué de provoquer une vague de protestations dès les bandes annonces. Selon le Figaro.fr, outre des inexactitudes historiques, Harim Esoltan s'est vu reprocher de concentrer une bonne part de son intrigue dans le harem du sultan, où favorites et concubines complotent et manigancent pour conquérir les faveurs de Soliman. «La série, ajoute-t-on, a été accusée de véhiculer une vision très occidentalisée du harem, prison dorée pour belles oisives, soumises corps et âme au bon plaisir du souverain». Le quotidien stambouliote Today's Zaman, quant à lui, rapporte le fait que soixante-quinze mille téléspectateurs ont dénoncé la diffusion du feuilleton sur la chaîne privée turque Show TV. Certains membres de la famille ottomane ont exprimé, à leur tour, leur indignation, en se demandant «pourquoi est-ce que le harem évoque toujours, dans l'esprit des gens, l'image de femmes esclaves, et pourquoi est-ce que l'on considère que harem égale sexualité ?». Harim Esoltan n'a pas, non plus, échappé aux foudres du Premier ministre Erdogan. Ce dernier a jugé le feuilleton contraire à l'histoire et aux bonnes mœurs musulmanes. «On ne badine pas avec les origines de la nation !», ont renchéri les conservateurs et les nationalistes turcs. Pour riposter, le scénariste de Harim Esoltan a dû préciser que «cette série est une fiction, pas un film documentaire. Les enfants des sultans ne naissaient pas dans les roses; ils avaient une vie sexuelle comme tout le monde». Et, en tentant de comprendre l'ampleur de la polémique suscitée, Orhan Tekelioglu (professeur en sciences de la communication à l'université Bahcesehir d'Istanbul et critique culturel réputé) a souligné que ce qui dérange le plus, c'est le personnage de Hurrem Sultana, la femme la plus puissante de l'Empire et l'épouse préférée de Soliman. Dans la réalité, cette dernière n'était autre que la fille d'un prêtre orthodoxe de Russie. «Voilà ce que certains conservateurs ou nationalistes turcs préfèreraient aujourd'hui oublier», a déclaré le critique. Dans tous les cas, malgré la polémique, Harim Esoltan ne cesse de gagner de l'audimat. A en juger pour les commentaires sur Internet, la troisième saison était très attendue par les spectateurs des pays voisins ou lointains de la Turquie. Après avoir profité du succès de Nour, les directeurs des agences stambouliotes doivent être heureux de constater que leurs affaires pourraient encore prospérer grâce à la fiction. Dans le circuit touristique classique qu'ils proposent aux voyageurs, un des lieux historiques est redevenu très à la mode, suite au succès phénoménal de Harim Esoltan : il s'agit du palais de Topkapi, la résidence impériale.