La fiction turque, omniprésente sur les chaînes arabes, est très appréciée par les Tunisiens (et sourtout les Tunisiennes), étant traduite par le beau dialecte syrien devenu facilement compréhensible par tous grâce aux feuilletons syriens suivis depuis quelques années en Tunisie. L'aventure a commencé il y a plus de trois ans avec le feuilleton « Nour » qui a fait des ravages auprès des téléspectateurs tunisiens, notamment chez les femmes qui ont été fascinées par l'acteur Kivanc Tatlitug qui jouait alors le personnage de « Mouhanned ». Et depuis, les feuilletons turcs déferlent sur nos petits écrans rencontrant toujours le même succès et le même enthousiasme des téléspectateurs, au point de devenir une obsession. A quoi est donc dû cet engouement pour les séries turques ? Serait-ce la proximité culturelle entre les deux pays ou tout simplement un effet de mode ? Toutes les chaînes s'y mettent En Tunisie, il n'y a pas une chaîne, privée ou publique, qui ne programme pas de séries turques dans sa grille d'hiver ou d'été, voire au mois de ramadan. C'est que ces séries turques, soigneusement confectionnées et merveilleusement doublées par un accent syrien fort distingué et très connu des Tunisiens, rassemblent des milliers de gens devant l'étrange lucarne, à plusieurs moments de la journée puisqu'elles sont diffusées et rediffusées sur plusieurs chaînes arabes. Il y a longtemps, c'étaient les séries égyptiennes qui menaient le jeu en Tunisie comme ailleurs. En effet, l'art dramatique égyptien a fait ses preuves durant tout le siècle dernier et a fasciné des générations entières dans tout le monde arabe. Mais depuis quelques années, le cinéma syrien a damé le pion à celui de l'Egypte en présentant des feuilletons plus réalistes et plus proches du consommateur arabe. C'est alors que le cinéma turc se manifeste à son tour avec force sur les chaînes arabes avec des romans-feuilletons très populaires dont le doublage est en dialecte syrien et qui traitent des thèmes à sensation. Ces feuilletons ont fait vite oublier au public tunisien les fameuses séries mexicaines et leurs héros qui furent longtemps idéalisés. En effet, avec leurs héros glamour, leurs héroïnes émancipées et leurs décors de rêve, les séries télévisées turques diffusées à longueur d'année sur nos chaînes ont réussi à tenir en haleine des téléspectateurs tunisiens qui demeurent scotchés devant leur téléviseur pour admirer leurs idoles turques. Elles ont même suscité à pas mal de fans l'envie de visiter la Turquie qui voit affluer les touristes venus de tous les pays arabes pour visiter les lieux de tournage et marcher sur les pas de leurs acteurs préférés ! Une percée spectaculaire L'on se souvient encore du grand succès de « Mouhanned », le fameux héros de la saga sentimentale « Nour » qui a fait des ravages essentiellement auprès des téléspectatrices dans tout le monde arabe. Les feuilletons qui ont suivi ont généré d'autres héros non moins illustres qui ont fasciné le public arabe, tunisien entre autres. Il y a eu déjà vingt feuilletons turcs qui sont passés sur des chaînes arabes depuis 2007. Parmi ces chaînes, il y a celles qui ont signé des contrats d'exclusivité sur plusieurs années avec la société turque de diffusion « Dogan TV » pour tous les feuilletons produits ! A en croire les statistiques révélées par des journaux arabes, la société Dogan TV a vendu plus de 20 séries au Moyen-Orient en 2007 et 2008. Ce premier groupe audiovisuel du pays, qui détient 80 % de ce marché diffuse également ses productions en Asie centrale, en Roumanie, en Grèce et des contrats sont en cours de négociation avec des pays des Balkans. C'est dire que l'art dramatique turc a réussi à percer dans plusieurs pays du monde et jouit déjà d'une renommée internationale. Soixante sociétés de production turques travaillent actuellement dans la réalisation de ces séries télévisées destinées à l'exportation et elles connaissent un fort développement depuis cinq ans. Les raisons du grand succès Le grand succès réalisé par ces feuilletons turcs dans le monde arabe a mené plusieurs sociologues à se pencher sur ce phénomène télévisuel qui a suscité l'intérêt des téléspectateurs de l'Orient jusqu'au Maghreb. Le sociologue turc Ipek Mercil de l'Université d'Istanbul a écrit : « En explorant des thèmes comme l'égalité entre hommes et femmes ou le travail féminin, en abordant des tabous, tels les enfants hors mariage, ces feuilletons montrent que l'ouverture est compatible avec les valeurs islamiques traditionnelles. La morale est sauve, puisque la figure patriarcale est toujours respectée et que le rôle de la famille reste central ». Bref, cette série, pur produit de la république turque laïque, apporte un bol d'air à ses millions de fans arabes, peu ou non habitués à ce genre de situations et de thèmes abordés dans les séries turques où les tabous d'ordre moral ou sexuel sont tombés. Pour les femmes tunisiennes qui sont plus émancipées que leurs consoeurs arabes et qui vivent dans un pays modéré ouvert sur les cultures du monde, ces feuilletons pourraient être plus proches de leur réalité sociale, familiale et sentimentale, d'autant plus que plusieurs traditions turques, ancrées depuis longtemps dans la mémoire collective des Tunisiens, dirigés pendant plusieurs siècles par l'Empire ottoman, sont encore d'usage aujourd'hui dans plusieurs régions et chez pas mal de familles. Le succès de ces feuilletons dans nos contrées est sans doute dû à cette histoire partagée avec les Turcs et, partant, à cette proximité culturelle et patrimoniale entre les deux peuples. Hechmi KHALLADI ---------------------------------------------- Témoignages Faten , 18 ans, lycéenne : «C'est la mode!» « Je dois regarder ces feuilletons, tout simplement comme le font toutes mes camarades de classe. Franchement, je n'ai jamais raté un seul épisode de tous les feuilletons turcs depuis «Les années d'errance » jusqu'à « Assi » en passant par « Nour », « l'Etranger » et tous les autres. Je suis déjà habituée aux séries mexicaines doublées en arabe depuis mon enfance, mais je trouve que les séries turques sont plus proches de notre réalité et de nos traditions ! Et puis, j'adore le dialecte syrien dont est fait le doublage de ces feuilletons ! » Aziza, 35 ans, femme au foyer : « Les séries turques sont les meilleures » « Généralement, tous les feuilletons arabes me plaisent ; mais les séries turques sont les meilleures pour moi. Je trouve qu'elles sont réalistes et les thèmes sont abordés de façon naturelle et sans tabou. Les acteurs sont formidables de tous les points de vue : la beauté et le professionnalisme ! J'étais fan des feuilletons égyptiens auparavant, mais j'ai trouvé que c'était presque le même plat qu'on nous représentait avec des ingrédients différents ! Depuis l'avènement des feuilletons turcs, je ne regarde plus de séries égyptiennes ! » Henda, 50 ans, secrétaire : « Ces feuilletons traitent des sujets soi-disant osés et impertinents » « Je vois que ces feuilletons dérangent certains gens pour la simple raison qu'ils traitent des sujets soi-disant osés et impertinents. Au contraire, tous les sujets relèvent de la vie et de la société : toutes les familles du monde connaissent l'amour, la haine, les conflits, les ruptures, le bonheur, le malheur, la jalousie, la trahison, la magouille et la combine. Les feuilletons turcs parlent de tout cela avec franchise et sans détours. Nous autres Tunisiens, nous nous y trouvons facilement car les Turcs nous ressemblent à bien des égards. Et puis, ces feuilletons montrent une société tolérante, avec ses propres complications, mais sachant respecter les limites. »