Le coup d'envoi de la troisième édition du Festival du cinéma russe en Tunisie a été donné dimanche dernier au Théâtre municipal de Sousse, en présence de professionnels du 7e art russe et tunisien, des acteurs culturels de la région, et un public de curieux, venu découvrir, ou redécouvrir, un cinéma au charme unique. L'ouverture s'est déroulée avec le rituel des présentations du jury et des invités spéciaux, avec, en avant-programme, un spectacle de danse russe chorégraphié par Lilia Kamoun, puis la projection d'un long métrage intitulé Le tigre blanc réalisé par Karen Chakhnazarov, un des amis du festival qui s'est toujours montré disponible pour aider les organisateurs de cette manifestation dans la sélection des films. Interprété, dans les rôles principaux, par des acteurs russes et allemands connus, Le tigre blanc raconte l'histoire d'un tankiste du temps de la Seconde-Guerre mondiale. Ce tankiste, qui avait pratiquement brûlé au combat, survit soudain et retourne au front. Il est persuadé que le tank insaisissable existe et qu'il faut absolument le détruire pour arrêter la guerre et ses horreurs. Commence alors la chasse au monstre : le tigre blanc. Ce film est une belle métaphore de la lutte éternelle entre le bien et le mal, construite en plusieurs actes, dans une forme proche du fantastique avec des effets spéciaux qui n'ont rien à envier à ceux des grandes productions américaines. A l'évidence, les Russes ont décidé de prendre la place qui leur est dû, dans le paysage cinématographique mondial. Mais comment vaincre «la pieuvre» hollywoodienne dont les tentacules couvrent les écrans de la planète? Le renouveau Ils n'imiteront certainement pas les Américains, même s'ils ont les moyens matériels et humains et autant d'imagination. Ils continueront à faire LEUR cinéma, déjà célèbre grâce aux grands classiques de l'époque des Soviets. Ils produiront un cinéma différent et «utile» aux sujets universels. Ils traiteront de l'humain pour l'humain et ils seront exigeants en matière de scénario qui est la fondation du film. En attendant de pouvoir se vendre au monde entier, le cinéma russe doit d'abord se réconcilier avec son public. Aujourd'hui, les Russes produisent de 50 à 60 films par an. Selon les statistiques de 2012, que les invités du festival ont bien voulu nous communiquer, 14% des films projetés dans les salles sont d'identité russe. «Nous espérons retrouver les 26% de 2008», nous informe Alexeï Riazantsev, producteur distributeur. Pendant que ce cinéma essaye de gagner du terrain sur son propre territoire, l'autorité de tutelle fait en sorte qu'il soit présent dans les manifestations organisées hors des frontières russes. Celle, à laquelle nous assistons aujourd'hui à Sousse, semble être très importante pour les membres de la délégation russe. Elle fait partie de «LA» stratégie. «Tous les moyens sont bons pour promouvoir notre culture et notre cinéma», ajoute Riazantsev. Apparemment, le fait que la troisième édition du festival du cinéma russe en Tunisie ne fasse pas salle comble importe peu. «L'essentiel est que l'on aime ces films et que l'on en parle», conclut le producteur. Faut-il être russe pour comprendre cette politique du «step by step»? Raconter la vie En tous les cas, l'objectif est atteint. On en parle déjà entre nous, cinéphiles. Les films proposés au programme sont récents. Ils datent en majorité de l'année dernière et sont réalisés par des jeunes cinéastes. Courts et longs de tous genres ne laissent pas le spectateur indifférent. Ces cinéastes russes ont l'art de raconter la vie, simplement, sans fioritures, sans prétention et sans forcer le trait. La société moderne, ses valeurs et ses illusions perdues, est mise sous microscope. Ces jeunes cinéastes racontent autrement les problématiques humaines. Loin de jouer aux «voyeurs», ils intègrent leur caméra dans les décors pour coller aux personnages, comme une seconde peau. On ne sent nullement «la mécanique». Ces jeunes cinéastes n'ont quoi faire des cadres bien dessinés et des panos-cartes-postales. La caméra est souvent portée, comme dans un reportage, comme au cinéma du réel, pour ne rater aucune vérité. Les acteurs crèvent l'écran. Leur jeu est vrai, sobre et on ne peut plus réaliste. Que d'émotions en ces deux premières journées du festival. On s'identifie facilement à Nyurka, cette petite fille qui vit comme loup solitaire en plein milieu de Sibérie, dans une maison en face d'une station de train. Chaque jour, à la même heure, Nyurka attend sa mère qui ne descend jamais du train, mais qui lui donne de quoi manger, en lui lançant un sac de provisions à travers la fenêtre du véhicule en marche. On se dit, «ça n'arrive pas qu'aux autres» en vivant la douleur de cette jeune femme atteinte d'un cancer et qui doit absolument trouver de nouveaux parents à son fils, avant de dire adieu à la vie. Coup de cœur Et les «mamans», ce mélodrame comique qui fête d'une manière si originale le 8 mars, la journée de la femme ! Et «les garçons», ces soldats qui font des petits business pour se faire plaisir et survivre à la discipline, au froid et à la misère! Mais le coup de cœur, jusqu'à cet instant, demeure pour Le face-à-face de Sergeï Komarov. Ce film est un huit clos. Tout se passe dans une prison, où Boris, qui, trois jours auparavant, a renversé quelqu'un, essaye de se souvenir de l'accident et des évènements qui l'ont précédé. Le face-à-face qui se déroule au parloir avec sa femme, est le clou du film. On y apprend des choses. A part le crime que Boris a commis, on apprend que le cinéma est grand quand son père, le théâtre, est la base du traitement. L'évolution dramatique se situe surtout dans les dialogues. Bergman en serait jaloux. C'est un film d'acteurs, comme on dit, où ces derniers ne perdent pas le nord. Ils jouent ici et maintenant comme au théâtre avec un rythme soutenu jusqu'au bout. On ne dirait pas que cette séquence principale du film a été découpée. Quant à la fin du film, elle est inattendue ; au huis clos s'ajoute cette façon de faire rebondir le temps. Face-à-face est écrit, et on ne peut mieux écrit. A voir absolument pour les amateurs du grand cinéma et ceux qui ne sont pas déjà conditionnés par une certaine manière de faire, celle «conventionnelle».