Al Kalimat, lectures à voix haute, est le Marathon des mots, manifestation créée à Toulouse qui prend racine à Tunis, grâce à Ness El Fen. La 2e session de ce puits de mots, qui a eu lieu du 5 au 7 avril, a tenu ses promesses. Public nombreux et programme cohérent ayant la résistance pour moteur. Départ en grande pompe au Théâtre municipal avec des textes récités, notamment par une grande dame du cinéma français : Nicole Garcia lisant Le premier homme d'Albert Camus, roman posthume, autobiographique, publié par la fille de l'auteur. Le sujet : retour à l'âge de 40 ans d'un pied-noir en Algérie, mise en relief de l'enfance, des années de bonheur et d'insouciance. Le comédien Fethi Haddaoui se coltine à Sghaïer Ouled Ahmed, Marianne Catzaras à Mahmoud Darouiche (voir La Presse du dimanche 7 avril). Samedi, à Ennejma Ezzahra, les amateurs des mots, du verbe et de poésie se rencontrent pour écouter des professionnels de la littérature autour d'un thème d'actualité : Littérature et résistances. Une table ronde qui a réuni Wassila Tamzali ( Une femme en colère : lettre d'Alger aux Européens désabusés, Gallimard) Charfi Majdalani (Nos si brèves années de gloire, Le Seuil), Dalila Ben Mbarek Msaddek (Je prendrai les armes s'il le faut, Presses de la Renaissance) et Tristan Jordis (Le courageux mourra dans la bataille, Stock). Animé par Olivier Poivre-d'Arvor, directeur de France Culture, une brochette d'écrivains qui, sans exception, a résisté à sa façon aux formes d'hégémonie du pouvoir. Il va de soi que la problématique ne se pose plus comme elle le fut dans les célèbres décennies de la 2e partie du XXe siècle, soit pendant la Guerre d'Algérie (Sartre, Camus et les intellectuels autour d'eux), soit pendant les années de dictature en Amérique latine, de Turquie ou en Europe de l'Est, pendant lesquelles des monuments de la poésie et de la pensée en général ont occupé le haut du pavé; on pense à Pablo Néruda, Nazim Hikmet, Victor Jara, Soljenitsyne ou Vaclav Havel pour ne citer qu'eux. La révolution arabe a généré, inspiré beaucoup d'écrivains et de journalistes. Le Printemps arabe fascine au-delà des frontières, Tristan Jordis est reporter à France Culture, il part en Egypte pour témoigner, le voilà plongé dans les foules de la Place Tahrir, où il restera des mois, attiré par la volonté des manifestants, l'expression de leurs visages, leur mode de vie et la force de leur énergie. Il conclut : «La littérature est un moyen de témoigner sur le monde». Mais comment est-il passé du journalisme à la littérature? «Il y a certes des accidents qui nous poussent à faire des choses plutôt que d'autres, là, en Egypte, je me suis fait à l'idée que je devais faire un travail à hauteur d'homme». Entre mythe et réalité Wassila Tamzali est une figure intellectuelle de haut rang, militante de la première heure, avocate réputée, ancienne fonctionnaire de l'Unesco, elle a sauté le pas en mettant les pieds dans la littérature, qu'est-ce qui l'a poussée? «L'insatisfaction. Le miracle de l'écriture, dit-elle, rend compte de l'utopie des années 60-70, années de braise et de lutte». Charfi Majdalani, écrivain libanais, relate les années de guerre au Liban, il vit à un jet de pierre de la Syrie, pays où les morts se comptent par milliers. Il rappelle qu'au Liban comme ailleurs dans le monde arabe, le mot résistance renvoie à la résistance palestinienne, laquelle, elle-même a créé la résistance libanaise. Il affirme que la révolution arabe a toujours été idéalisée, mais elle reste en quelque sorte un mythe. A son avis, le rôle de la littérature aujourd'hui est de déconstruire ce mythe en procédant à la révision de «L'homme arabe». Et de citer l'exemple des qualificatifs glorieux, mais faux, qui ont suivi la création du Liban en 1920, le fait de mettre un voile pudique sur les vraies guerres fratricides entre chrétiens et musulmans, Liban terre de fraternité et de coexistence pacifique? Un mythe créé par l'Occident! Dalila Mbarek Msaddek est avocate, elle s'est jetée corps et âme dans la révolution du 14 janvier, fille d'un militant ayant payé des années de prison, à l'époque de Bourguiba, elle prend le relais du combat, militante dans «Doustourna», le titre de son livre Je prendrai les rames s'il le faut a-t-il un côté provocateur, suicidaire? Non, c'est un choix et un devoir répond-elle. Elle explique l'ardeur de son combat par l'absence de son père quand elle était enfant, près de dix ans, elle a été privée de son géniteur emprisonné : «L'absence de mon père m'a sans doute renforcée dans mes convictions. Tout comme mon père dont je comprends aujourd'hui le sens du combat, je suis prête à sacrifier enfants et carrière pour mes idées». Ce qui explique l'énergie de son engagement. Conclusion : le débat, Littérature et résistances, a changé de forme, fini les figures emblématiques, balayées les illusions qui menaient et rassemblaient les foules ; de nos jours, les penseurs, les idées, les livres, la poésie sont disséminés dans les franges de société, les activistes créent des slogans et des idées, les journalistes se font écrivains, les leaders se multiplient, les témoins sont multiples et sortent de milieux inattendus.