Nombreux sont les experts qui reconnaissent la causalité entre la croissance et l'investissement mais ignorent souvent que l'investissement dépend de la capacité d'un pays à le financer avec sa propre épargne ou par des sources extérieures. Les crises d'endettement récentes nous rappellent que les sources extérieures au-delà d'un certain seuil deviennent trop risquées. Nul n'ignore que l'investissement est relativement faible en Tunisie et qu'il nécessite une attention particulière. Cependant, il faut bien admettre qu'un niveau d'investissement élevé exige un taux d'épargne important et c'est peut-être à ce niveau qu'il faut intervenir. Avoisinant les 22% du PIB, le taux d'épargne en Tunisie demeure assez faible comparativement aux pays émergents. Il a même baissé en 2011 et 2012 pour atteindre seulement 16%. Ce qui nous amène à avancer que pour redynamiser l'investissement, il faut probablement agir pour accroître l'épargne, même s'il existe une controverse très ancienne et qui n'est toujours pas tranchée. Est-ce que l'épargne est le moteur de l'investissement ? Ou bien est-ce que l'investissement génère sa propre épargne. Il est en fait probable que la causalité soit à double sens et cela peut dépendre du fait que l'économie a sous-utilisé, ou non, les ressources qui peuvent être transformées en investissements. Pour comprendre le mécanisme économique qui est derrière cette question, imaginons deux scénarios extrêmes. Premier cas, les Tunisiens n'épargnent plus et il n'y a donc plus d'argent pour financer les investissements en Tunisie, ce qui est très négatif pour la croissance. Deuxième cas, les Tunisiens épargnent tout ce qu'ils gagnent au détriment de la consommation, ce qui est également négatif. Il doit donc y avoir entre ces cas extrêmes un partage du revenu entre consommation et épargne qui permette à la fois d'alimenter un niveau suffisant de consommation et d'assurer un niveau suffisant d'investissement. Evidemment, l'idéal serait de pouvoir consommer et investir simultanément, mais est-ce possible ? Traditionnellement, les économistes néoclassiques considèrent l'épargne comme un préalable indispensable, sans lequel l'investissement est impossible. Ce raisonnement semble inattaquable : à capacités de production données, il est possible de produire une quantité limitée de biens et services. Accroître l'investissement nécessite d'augmenter la part des biens de production, donc de réduire celle des biens de consommation... ce que permet l'augmentation de l'épargne. Les choses se présentent différemment dans l'hypothèse de sous-utilisation des capacités productives, notamment en période de récession comme celle que nous vivons aujourd'hui. Il est alors possible de produire plus de biens d'investissement sans réduire la production de biens de consommation. Cette production supplémentaire est financée par l'endettement. Comme il y a peu de chances que les entrepreneurs s'endettent pour produire plus en période de crise, il revient à l'Etat d'engager des dépenses supplémentaires : c'est la politique keynésienne de relance. Quoi qu'il arrive, et à long terme, le raisonnement classique retrouve souvent ses droits : produire plus nécessite plus de capital, qui ne peut être obtenu qu'en sacrifiant une partie de la consommation possible aujourd'hui au profit de l'investissement. Un taux d'épargne élevé est donc bien une condition favorable, en règle générale, à la croissance économique. D'autant plus que l'expérience internationale a montré que les pays qui connaissent la croissance la plus rapide ont des taux d'épargne élevés.