Par Zouheïr El KADHI (Economiste) En ce milieu d'année, l'économie tunisienne rentre dans une configuration totalement nouvelle. Celle-ci, il faut le reconnaître, n'est pas inextricable mais terriblement complexe. En effet, après deux années difficiles, l'année 2013 risque aussi d'être classée dans les chapitres des années perdues. Et ce n'est pas sans raison que la situation actuelle fait peur. Il y a maintenant près de deux ans, le spectre de la stagflation était à nouveau évoqué. Aujourd'hui, c'est sur le terrain de l'inflation que la situation est très incertaine. Personne n'avait anticipé qu'un retour rapide de l'inflation viendrait faire un croche-pied à une activité économique déjà fragile. En effet, les derniers chiffres de l'inflation publiés par l'Institut National de la Statistique (INS) sont préoccupants. L'indice des prix à la consommation ne cesse d'augmenter affichant au mois d'avril une augmentation, en glissement annuel, de l'ordre de 6,4%. Le plus préoccupant est que même l'inflation sous-jacente, c'est-à-dire hors alimentation et énergie, se situe à un niveau historiquement élevé. Il est très probable que cette tendance haussière se poursuivra tout au long de l'année. Une lecture détaillée des chiffres révèle que les plus fortes hausses ont été remarquées au niveau du secteur de l'alimentation, avec 8,2%. D'autres secteurs ont évolué également dans une fourchette supérieure au niveau de l'indice global. En tout état de cause, la transition s'annonce particulièrement difficile et le retour à une certaine normalité est teinté de difficultés. La théorie élémentaire nous enseigne que si un peu d'inflation peut servir la croissance, trop d'inflation risque de la casser, en augmentant l'incertitude sur l'avenir, en provoquant un mouvement de défiance vis-à-vis de la monnaie qui incite les détenteurs de capitaux à chercher des valeurs refuges plutôt qu'à investir. Pire encore, le développement d'une forte inflation est toujours le signe de conflits intenses dans le partage des richesses, d'une instabilité économique, mais aussi sociale et politique, qui ne peut que freiner la croissance. Le problème, c'est que la hausse actuelle des prix a plusieurs sources. Sans aucun doute, les circuits de distribution et la contrebande ont une part de responsabilité. Cependant, il semble que c'est une inflation par les coûts que l'économie tunisienne est en train de subir. Et c'est la pire sorte d'inflation. En effet, l'inflation par les coûts intervient lorsque la rémunération d'un facteur de production progresse de façon plus rapide que la productivité. Les entreprises tentent alors d'augmenter leurs prix, la hausse des rémunérations amenant donc un conflit de répartition des revenus car les ménages cherchent à maintenir leur pouvoir d'achat. Dans ce cas de figure, l'inflation ne peut retomber que si la productivité rattrape son retard par rapport à la hausse des coûts (salaires et consommation intermédiaire). Partant de cela, et pour lutter efficacement contre l'inflation, il faut remettre la machine économique en marche pour augmenter la production et améliorer donc la productivité. Les solutions de facilité comme le contrôle des prix sont inefficaces, voire antiéconomiques. En définitive, la rare combinaison d'une croissance au ralenti (très en dessous de son potentiel), d'un gonflement de l'endettement, d'une inflation en hausse et d'un taux de chômage élevé laissent craindre une situation de stagflation. Comment éviter le fantôme de la stagflation? C'est l'enjeu des prochains mois, voire des prochaines années.