C'est devant une salle comble que Sihem Belkhodja a donné, lundi dernier, au Théâtre municipal, le coup d'envoi de la 8e édition de « Doc à Tunis ». Une édition qui se veut épurée et qui mise, surtout, sur le débat et le dialogue avec les réalisateurs et autres protagonistes du festival. Un genre bien particulier a inauguré cette soirée, un web documentaire tunisien intitulé « Tunisie 4.0 » et produit par Ness El Fen. Ce genre de format, destiné d'abord pour Internet, est devenu monnaie courante, sous d'autres cieux, apprécié par les médias, les artistes et autres pour la facilité de sa diffusion, pour son côté interactif et parce qu'il associe texte, photos, vidéos, son et animation. Le format, monté à l'occasion de l'ouverture de « Doc à Tunis », regroupe une série de web-docs, sélectionnés parmi les 60 « petits films » produits en 2012 et qui seront visibles sur la Toile à partir du 12 mai 2013. Le lancement de ce genre de films est l'idée de Sihem Belkhodja et le projet a été soutenu par Khmaïes Khayat qui a collaboré dans la réalisation de ces web-docs auxquels ont pris part de nombreux réalisateurs et comédiens tunisiens. En effet, ces web-docs comptent, outre les témoignages d'hommes politiques, d'acteurs de la société civile, de cyberdissidents et de citoyens lambda, des doc-fictions, dont certains se présentent sous la forme de films d'anticipation, avec au casting, entre autres, Fathi Haddaoui, Raja Farhat et le défunt Lotfi Dziri auquel le film rend hommage. Un hommage assez discret, puisque seule la caméra s'en est chargée et les mots se sont fait attendre... C'est « L'état des lieux » de Cyril Karray, le brillant économiste tunisien, auteur de «La prochaine guerre en Tunisie », qui prélude la série de films, avec une analyse poignante de réalisme sur la situation économique, politique et sociale du pays. Il nous parle du système économique tunisien défaillant qui se croyait immunisé et chouchouté par la Banque mondiale, de l'élite tunisienne qui, longtemps, a vécu en dehors de la réalité du pays, de l'absence en Tunisie, pendant plus de 50 ans, d'une vision globale. Il souligne l'importance d'une vraie union nationale. Il s'agit de rompre avec les individualités, l'élite politique doit se «couper» un bras et se revoir, sinon on continuera à vouloir tout changer, pour que tout reste à sa place au final, note-t-il dans son témoignage. S'enchaîne un témoignage émouvant de Moncef Souissi. Filmé en pleine avenue Habib-Bourguiba lors d'une manifestation post-14 janvier, l'homme de théâtre, ému et en larmes, présente ses excuses au peuple tunisien: « Les hommes de culture ont failli et ont lâchement servi le système de Ben Ali», dit-il dans ce sens. On a eu droit à un Raja Farhat campant Habib Bourguiba et ressuscitant sa mémoire, pour nous parler, en l'imitant, de démocratie et d'ingérence étrangère. Les films d'anticipation nous ont présenté feu Lotfi Dziri, dans la peau d'un émir islamiste, flanqué d'une généreuse barbe et marqué au front par le brun de la « piété », nous parlant des exploits et d'autres réalisations de l'émirat de Sidi Bou Saïd, un Fathi Haddaoui en soldat déchu déplorant la situation chaotique de la Tunisie, un groupe de danseurs, «niqabées» et portant le kamis, dansant en cachette dans une salle de répétitions désaffectée, de peur d'être pris en « flagrant délit de danse » et d'être châtiés. D'amères projections dans le futur tunisien, qui se présente sombre avec assassinat de la culture et des libertés individuelles. A méditer et à prendre en considération, ne sait-on jamais ! «Mille et un Tunisiens» de Lassaâd Ben Abdallah et Emna Mnif a été, par la suite, projeté, en présence de Emna Mnif qui a un peu décrit le projet qui se présente à l'allure de caméras citoyennes filmant, à Testour et à Sakiet Sidi Youssef, les témoignages de Tunisiens parlant de leur quotidien et de l'après-révolution. Un effort à applaudir, qui relève plutôt du témoignage et qui demeure de l'ordre du document social, loin de faire réellement dans le documentaire avec absence d'écriture. L'attitude, pas très « cinéphile », du public reste à souligner, avec excès d'applaudissements et de remarques désobligeantes. Après ces deux projections aux propos condensés et chargés, les quelques personnes qui sont restées jusqu'au bout ont pu découvrir le documentaire «Dans l'enfer de la répression » de Sofia Amara. Caméra en main, la réalisatrice a sillonné les rues de quelques villes de Syrie pour témoigner du sanglant bras de fer entre l'armée libre et l'armée régulière du régime Bachar El Assad.