Les rumeurs les plus folles circulent. Des partisans du mouvement dit Ansar Echaria tiennent à organiser leur congrès, aujourd'hui à Kairouan. Les autorités l'interdisent fermement. Toutes les voies d'accès à Kairouan sont sous haute surveillance, hermétiquement contrôlées par les forces de sécurité et des unités de l'armée. Des conciliabules ont eu lieu hier et avant-hier entre les partisans d'Ansar Echaria et de hauts responsables de la présidence de la République. Des voix se sont élevées parmi notamment les dirigeants de l'aile droite maximaliste du mouvement Ennahdha pour dire que les Ansar Echaria consentiraient à reporter leur congrès. Mais le ministère de l'Intérieur ne l'entend pas de cette oreille. Il a publié hier un second communiqué où il réitère sa ferme volonté d'interdire ce rassemblement des salafistes. Il précise qu'il n'a guère entrepris de pourparlers et que les déclarations médiatiques des uns et des autres n'engagent que leurs auteurs. Entre-temps, les ratissages dans les régions et les descentes de quartier se poursuivent. La police semble décidée à ne point céder. Elle campe la politique de la main de fer. Et l'étau se resserre autour des dirigeants et groupuscules salafistes maximalistes. Plusieurs arrestations ont eu lieu. Des armes ont été saisies ainsi que des cartouches, des manuels de fabrication d'explosifs, des uniformes, des bannières, des gourdins et tout un attirail de manifs et d'agitation. La majeure partie de la classe politique ainsi que le citoyen lambda semblent soutenir le ministère de l'Intérieur dans ce bras de fer. D'aucuns s'étonnent par ailleurs que de très hauts responsables étatiques aient choisi ce week-end pour se rendre au Golfe. Cependant, le ministre de l'Intérieur, Lotfi Ben Jeddou, prend les choses à bras le corps. Il assume son baptême du feu d'homme d'Etat. Il affiche jusqu'ici un profil inébranlable et un maintien de haut commis de l'Etat. Finalement, ce week-end risque de constituer un véritable tournant dans la vie politique tunisienne. La solidité des institutions de l'Etat souverain en dépend dans une large mesure. Et cela intervient alors que la traque du groupuscule terroriste du jebel Chaâmbi se poursuit depuis le 29 avril. Ici et là, la paix civile est en jeu. Paradoxalement. La révolution initiée le 14 janvier 2011 risque d'être complètement phagocytée. Le fleuve donne par moments l'impression d'être en passe d'être détourné. Les horizons libertaires de la révolution sont menacés par les perspectives enténébrées du fanatisme et des violences tous azimuts. Les évolutions des derniers mois gagneraient à être mûrement débattues. Depuis l'assassinat de Lotfi Naguedh aux coups de feu dans le jebel, en passant par l'assassinat de Chokri Belaïd, la pente macabre se cristallise. Les risques du terrorisme aveugle sont patents. Des jeunes sont utilisés dans l'engrenage démentiel. A l'instar de ceux officiant comme chair à canon dans le conflit syrien, instrumentalisés par les nébuleuses terroristes. La classe politique aux commandes de l'Etat endosse une grande responsabilité dans ce topo cruel et pervers. Elle a trop campé le laxisme, les calculs électoralistes étroits, les manœuvres politiques dolosives. La politique y a perdu en significations humanistes et horizons démocratiques. Les coteries inavouées et malintentionnées l'emportent. Finalement, des clivages profonds et des gouffres immenses ont fini par investir la place. Ils divisent les Tunisiens. Passe encore lorsqu'il s'agit de choix et d'options politiques. Cela devient éminemment dangereux lorsque les baïonnettes sont mises à l'ordre du jour. Comme c'est le cas, hélas, au jebel Chaâmbi et ailleurs. Comme cela risque d'être le cas aujourd'hui à Kairouan.