Par Hamma HANACHI Arte a eu une idée, une bonne idée, la chaîne culturelle franco-allemande ne manque pas de bonnes idées, mais, mercredi 29 mai, elle a fait fort, ce qui n'est pas pour nous déplaire. Et si ça continue, elle risque de nous coller des heures à nos fauteuils. Le début du XXe siècle fut abondant en créations; tout ou presque a été inventé en cette période, on ne compte plus les écoles, les tendances, les divisions, les querelles et les réconciliations. Si ce n'était pas des bouleversements, c'était au moins des transformations de la pratique de la peinture, de la sculpture, de la danse, du théâtre, bref de l'art, donc de la vie, tout a été bousculé de fond en comble et, depuis, les artistes, les groupements, les écoles, les provocateurs, les néos, et les anti-néos ne font que reprendre le même geste: la destruction de l'art par l'art. Sur ce chapitre, Marcel Duchamp, dadaïste, provocateur, iconoclaste en fut le champion. Ce soir-là, la chaîne culturelle s'est penchée sur un événement qui a révolutionné la danse, la musique et le ballet en même temps : la création du Sacre du printemps, d'Igor Stravinski. 29 mai, 1913, Diaghilev, directeur des Ballets russes, se propose de monter le ballet Le Sacre du printemps, il commande à Igor Stravinski, avec lequel il avait créé l'Oiseau de feu et Petrouchka de composer la musique, son amant, le danseur Nijinski, dirige la chorégraphie. La première a lieu au Théâtre des Champs Elysées. Un événement, le spectacle provoque un séisme incomparable. A la première, remous, vacarme, turbulence, in jures, contestation, le public crie, hurle au scandale, du jamais vu dans l'histoire des spectacles. La critique comparera la danse du ballet à des phoques rampant chez les esquimaux. Première partie. Arte reproduit le spectacle original, créé par Hodson et Archer en 1987, qui ont reconstitué les décors, les photos d'époque, les dessins, les notes sur la danse, les mouvements, les tableaux, etc. dans les fosses, le chef Valery Gergiev dirige l'orchestre. Le thème est composé de 2 parties : l'Adoration de la terre ou le réveil du printemps et le Sacrifice, rituel d'une femme désignée pour être livrée aux dieux. Un thème jamais abordé auparavant, où Nijinski s'inspire des scènes de la Russie païenne. Un scandale. Jamais avant Nijinski, le public n'a vu des danseurs sauter sur scène, faire grand bruit en battant le sol, la danse c'était des mouvements aériens, doux, agréables à la vue, des courbes, des effets romantiques, pas de violence. Plus de 100 répétitions, sans notes, Nijinski, évoque les rites païens des peuples slaves, les gestes brusques, les sauts barbares, la musique de Stravinski est énergique, les bassons annoncent un départ tragique, rejoints par les trompettes, les contrebasses...on est dans l'adoration de la Terre, les forces brutales à l'état sauvage. Ce qui est pour déplaire au public qui hurle. Dans les fosses, les instrumentistes, sur des gestes du chef jouent plus fort pour étouffer les cris. Le ballet fait l'effet d'une bombe, critiques et public en allument la mèche. «Dites: la crasse du tympan et non le sacre du printemps» ajoutera un Marcel Duchamp, malveillant. Quelques jours plus tard, le Sacre sera accueilli sans dégâts à Londres, en 1914, le spectacle est porté en triomphe, la musique, l'orchestration feront l'objet d'études savantes, Stravinski est porté aux nues. Plusieurs adaptations suivirent. Le ballet est le plus joué au XXème siècle, les grands chorégraphes l'ont adapté, Martha Graham, Maurice Béjart, Pina Bauch, etc. La chorégraphie de Nijinski est devenue une légende. Deuxième partie, 29 mai 2013. Le sacre est présenté au même théâtre dans une nouvelle version, avec le Théâtre Mariinsky de Saint Petersbourg, sous la direction musicale de Valery Gergiev, en présence de tout le gratin culturel. Aux commandes, une jeune chorégraphe allemande qui fête ses 50 ans : Sasha Waltz.«C'est une œuvre fascinante et terrorisante», commente-t-elle. Waltz nous plonge dans cette version moderne du Sacre, la même ardeur, violence des mouvements, regroupements, danseurs jeunes de races différentes, costumes actuels, gestes du quotidien mêlés à la danse. Ce qui reste ? L'irrésistible musique, le tonnerre, la foudre de Stravinski. En prime à travers un reportage, Arte nous fait découvrir les péripéties de la construction du Théâtre des Champs Elysées. Une grande aventure architecturale et un destin : la rencontre entre un ballet et une salle de spectacle.