L'exposition « Danser sa vie. Art et danse de 1900 à nos jours » au Centre Pompidou, à Paris jusqu'au 2 avril 2012, affirme avec une ampleur inédite la place de la danse parmi les arts visuels. Quelque 450 photos, vidéos, manuscrits, notations, dessins, peintures et sculptures explorent sur tout le XXe siècle l'influence mutuellement exercée entre la danse et les arts plastiques. Cette exposition ambitieuse pourrait se résumer en une phrase : la danse est un art majeur qui n'a pas encore trouvé sa juste place dans les collections et les musées. Pour cela, le parcours rassemble les preuves matérielles d'un art longtemps qualifié d'éphémère. Ce n'est pas un hasard si l'exposition commence à l'époque où les frères Lumière inventent le cinéma -lequel peut enfin capter les mouvements pour la postérité. La danse se révèle effectivement comme un puissant moteur qui met en mouvement les avant-gardes artistiques : de Matisse à Kirchner Les voiles de danse et le film colorié La Danse serpentine de Loïe Fuller participa en 1897 à l'invention du film colorié. Les voiles colorés de la chorégraphe américaine, filmés par les frères Lumière, ont été coloriés à la main image par image. C'est la scène de masturbation dans L'Après-midi d'un faune du génie Nijinski qui fut en 1912 à l'origine d'une rupture esthétique révolutionnaire. Le solo Hexentanz (danse de la sorcière) de Mary Wigman, accompagné de percussions, poussa Kirchner à peindre sa fameuse toile Totentanz (danse macabre). Robert Rauschenberg fut longtemps le décorateur attitré du chorégraphe Merce Cunningham et Jasper Johns son directeur artistique. Danser sa vie sans la biographie Malgré la révélation de toutes ces prouesses, l'exposition ne tient pas complètement sa promesse. Elle montre trop l'histoire de la danse à travers des arts visuels. Elle renonce à la partie biographique des danseurs et chorégraphes qui habitent justement le titre Danser sa vie. Le parcours s'ouvre avec les sculptures de Rodin, adepte des danseuses javanaises et cambodgiennes et La Danse de Matisse, une toile monumentale réalisée entre 1931 et 1933, après un long voyage à Tahiti en 1930. Mais l'exposition se limite à montrer l'histoire de la danse occidentale. Quelle est la réalité de vie derrière les exploits de l'artiste noire Josephine Baker pour « danser sa vie » avec des seins nus dans le Paris des années 1920 ? L'exposition énonce également l'ascension de la danse dans l'Allemagne du Troisième Reich des années 1930. Sur les cimaises, on trouve des photos d'une danse sous forme de croix gammée et autres atrocités chorégraphiées. Rien n'explique pourquoi et jusqu'à quel degré les précurseurs de la danse moderne Mary Wigman et Rudolf von Laban se sont laissés amadouer par l'idéologie du Troisième Reich ? Comment les danseurs juifs ont dansé leur vie à cette époque ? William Forsythe, qui -comme beaucoup de chorégraphes aujourd'hui- se sert des idées de Rudolf von Laban, s'est-il interrogé sur cet héritage quand il donne une extraordinaire master class de l'improvisation ? La « danseuse » des arts visuels Parfois domine l'impression que la danse reste la « danseuse » des arts visuels : Picasso aime les danseuses et peint l'Acrobate bleu, André Kertesz photographie une danseuse sur un canapé, le chorégraphe belge Jan Fabre rend hommage aux Anthropométries d'Yves Klein et Jérôme Bel convoque à la fin la pensée de Marcel Duchamp (« C'est le regardeur qui fait l'œuvre ») pour sa pièce The show must go on (2001).