Telles quelles, les dispositions transitoires sont une « hérésie constitutionnelle » Le pouvoir politique n'est pas convaincu de la nécessité de lever sa mainmise sur les médias Malgré le changement d'époque et les espoirs de rupture avec les anciennes pratiques d'opacité de l'information et de mauvaise foi dans l'élaboration des lois et des procédures, plusieurs protagonistes ont dénoncé hier, lors de la journée d'étude consacrée à «la responsabilité des députés et des médias envers l'opinion publique» organisée par l'Observatoire arabe des religions et des libertés, le flou médiatique, procédural et juridique qui persiste dans la pratique. L'absence d'un calendrier définitif et clair, le manque de transparence envers les journalistes en ce qui concerne les travaux de l'ANC ou encore le vide juridique qui menace le passage à ce que certains appellent « la troisième phase transitoire» sont les principaux thèmes que l'on retrouve dans la grande majorité des interventions lors de cette journée d'étude. « Il faut savoir qu'aujourd'hui, les travaux de l'ANC ne sont soumis à aucun contrôle, et plus son mandat est prolongé, plus on créera de nouvelles institutions n'obéissant à aucun contrôle», note Saloua Hamrouni, professeur de droit constitutionnel. Elle relève également que plusieurs scénarios relatifs à l'adoption de la Constitution et la fin de la «deuxième phase transitoire » ont été tus par la loi sur l'organisation provisoire des pouvoirs publics. «Bien que l'article 106 ait prévu une manière d'amender les articles par au moins 5 députés, il ne dit absolument rien sur la cas de figure où un article n'est pas voté sans qu'il y ait un amendement de cinq députés, et puis si un article est refusé par les députés, la procédure n'est pas claire, reviendra-t-il vers la commission concernée ? », dit-elle. Saloua Hamrouni, tout comme l'ensemble des constitutionnalistes, se montre particulièrement inquiète par rapport à la question des dispositions transitoires qui sont, selon elle, « une hérésie constitutionnelle ». «Si les dispositions transitoires demeurent, alors nous verrons une ANC de plus en plus hégémonique qui pourra, en vertu de la constitution, créer elle-même les instances régulières. Personnellement, j'y vois une volonté de se maintenir au pouvoir de façon illégitime», explique-t-elle. Pour Farhat Horchani, professeur et expert en droit international, ce sont les prochaines élections qui constituent le véritable défi à relever, car, «s'il y a des doutes sur la transparence des élections, la Tunisie va courir de graves risques d'instabilité». Encore une fois, c'est la question de l'absence d'un calendrier clair qui a été soulevée par le professeur. «L'absence d'un calendrier a de graves répercussions sur les relations internationales de la Tunisie», explique-t-il. Le flou est également médiatique, selon Rachida Naïfer, qui cumule les casquettes d'ancienne journaliste, membre de la Haica et professeur de droit. «L'Assemblée nationale constituante n'a pas réussi à faire parvenir aux journalistes les informations nécessaires pour éclairer l'opinion publique, ce qui a provoqué la multiplication des fuites d'informations non officielles, l'ANC ne dispose même pas d'un site web actualisé permettant au grand public de s'informer sur les avancements des travaux de leurs élus», s'étonne-t-elle. Plus généralement, à propos des médias, Rachida Naïfer regrette que « le pouvoir politique ne soit pas convaincu de la nécessité de lever la mainmise sur les médias». «Le projet de code de conduite élaboré par la télévision tunisienne est inquiétant, il transforme le journaliste en un simple micro, sans aucune marge de manœuvre professionnelle», conclut-elle.