Par Khaled TEBOURBI La condamnation à la prison ferme du rappeur Weld El 15 laisse un profond sentiment d'injustice. Outre le précédent qu'elle crée et les questions qu'elle suscite au sujet de nos magistrats. Le verdict, d'abord, est clairement disproportionné. Deux ans de privation de liberté pour une chanson est franchement excessif. On a tous dit et admis que Weld El 15 a eu tort de sortir une pareille diatribe. De plus, à un moment où la police semble plus que jamais décidée à engager sa réforme républicaine. L'apostropher de la sorte était comme jeter de l'huile sur le feu. Dans la situation actuelle du pays, nul n'en avait vraiment besoin. Reste que prêcher la morale ne se confond pas avec rigueur ou répression. Ou alors s'il y a procès, s'il y a plainte, qui plus est, autour d'une œuvre artistique (cas sensible), le plus juste, le plus sage, le plus courant, ici comme ailleurs, est que les juges s'en tiennent à une qualification raisonnable des faits et à une application précise de la loi. La chanson de Weld El 15 était sans aucun doute diffamatoire. Et l'atteinte à la réputation et au prestige de l'institution policière ne souffrait d'aucune contestation. On pouvait s'arrêter à ce seul grief, et à l'exact dommage subi. C'est ce qui est d'usage dans toutes les démocraties du monde. Et cela ne débouche, au pire, que sur des «réparations pécuniaires», jamais sur des contraintes corporelles. Nos juges ne l'ont pas fait. Ils ont, au contraire, accumulé les chefs d'accusation : «Trouble à l'ordre public». «Offense aux bonnes mœurs, voire, «incitation à la haine et à la violence. Pourquoi ce «zèle» ? Pourquoi cette hargne ? comment, de surcroît, expliquer cette «panacée juridique», on ne peut plus «floue», «incertaine», dans un procès au pénal où les droits du défendeur sont protégés par une règle exclusive, universelle : un texte, une sanction ? «Principe d'interdiction» L'impression au final est que le tribunal saisi était beaucoup moins soucieux de rendre justice que «d'administrer une leçon exemplaire» à un artiste dont «il ne partageait pas l'opinion». Subjectivité. Plus grave, peut-être : suspicions. Autant sur la conduite d'un procès, que sur le fonctionnement de l'appareil judiciaire en général. On pense, bien sûr, au précédent. «Weld El 15» est sous les verrous. Il importera peu désormais de savoir s'il a été fautif ou pas. Ce qui risque de compter d'ici aux prochains «contentieux», c'est «un principe d'interdiction» : on ne touche pas à ceci, on ne touche pas à cela, fût-ce à travers une chanson, un poème et bientôt (inévitable «analogie») à travers un tableau, un film, un article même, un écrit, quel qu'il soit. Tous ceux qui imiteraient l'exemple de «Weld El 15», en croyant disposer de leur entière liberté d'expression et de création, pourraient connaître le même sort, puisqu'il y a d'ores et déjà, jurisprudence, puisque ce sont des juges qui en ont ainsi décidé. Des détails qui ne trompent pas On se pose surtout des questions à propos de l'indépendance de la justice. On n'ira pas jusqu'à en douter. Rien ne l'atteste encore. Et puis ce serait, pour le moins, irrévérentieux, à l'égard d'une institution qui s'attelle, elle aussi, à rompre avec «les démons du passé». Il y a, cependant, des «détails» qui ne trompent pas. Deux tout particulièrement : En premier, et dans l'affaire «Weld El 15», il n'y a pas eu plainte émanant de la police. Uniquement une action du ministère public. La principale victime a visiblement voulu «passer l'éponge». Pas l'Etat. Et davantage le tribunal de première instance de Ben Arous! En second, et c'est ce qui n'a échappé à personne, la promptitude des recours et la sévérité des sentences n'ont concerné jusqu'ici que des actes d'opposants. Pour le reste, on a ou laissé traîner des dossiers, ou concédé de bien généreux sursis. Difficile de croire que ce n'était que convergence fortuite.