Par Hamma HANACHI La planète entière a les yeux tournés et ouverts sur l'Egypte. Qui l'aurait cru, il y a quelques semaines ? La place Tahrir retrouve sa vocation de rassembleuse des contestataires. Marée humaine, ambiance, joie, colère, folie, drapeaux, clameurs, vivats, hélicoptères dans le ciel. Le mouvement de rébellion qui a pris naissance en Tunisie, et semble y faire encore sa sieste, a pris la route vers les pays arabes, européens et américains et semble cueillir les fruits en Egypte. Dans chaque pays, le refus du système, petit ou grand, a endossé un habit à sa mesure, et choisi un nom, lequel a été adopté par les sans-voix, les moins que rien et les peuples humiliés. Aussi, a-t-on admiré et applaudi les révoltes colorées des indignés espagnols, des révoltés d'Athènes, des insurgés de Londres, de Paris ou de Bruxelles. On est toujours émerveillé par ces centaines de jeunes qui, sans feuille de route, ni programme établi, défilent chaque mercredi sur l'avenue Habib Bourguiba à Tunis réclamant la vérité sur la mort du martyr, criant fort, encore et toujours «Qui a tué Chokri Belaïd». Par optimisme, des comparaisons avec le Printemps arabe ont couru les rédactions européennes et charmé les analystes, mais cela n'est pas comparable avec la contestation arabe; il faut dire que la liberté d'opinion, la liberté de la presse, bref la mécanique démocratique et ses enjeux ne sont pas pareils, l'Histoire n'est pas la même. A Tunis ou au Caire, les manifestations ont allumé une révolution contre un régime, à Madrid, Londres, Paris, Athènes, Istanbul et récemment au Brésil, les rassemblements traduisaient plutôt un sentiment de fatigue, de ras- le-bol contre le régime en place. Mais disons qu'un fil relie toutes ces contestations : le défi au vieux monde. Une phrase va dans ce sens, elle est dite en 1997, elle résumerait ces rébellions: «Ou le siècle à venir sera celui du refus ou ne sera qu'espace carcéral» Louis Calaferte. On voit par là que les poètes ont toujours raison. Ces jours-ci, le phénomène de contestation en Egypte n'a pas de référence, il est unique, jamais dans l'histoire humaine un rassemblement n'a réuni autant d'hommes et de femmes, des millions de citoyens criant d'une seule voix: le départ d'un président élu. Du jamais-vu ! Il n'y a pas d'exemple sur lequel reposer et à partir duquel on pouvait bâtir ou du moins entreprendre des théories. Le monde s'interroge, les politologues fournissent des éclairages, même les financiers entrent en jeu. Une anecdote cocasse illustre leur optimisme : mardi, toutes les Bourses, de New York à Paris, de Londres à Tokyo, sont à la baisse. Curieusement, alors que la rue s'enflamme au Caire, la Bourse d'Egypte grimpe de 5%. Suite à cela, beaucoup ont conclu que le président Morsi se dirigerait illico vers la porte de sortie. Chômage, précarité, crises financières, fini l'âge d'or de la croissance et du bien-être; les révoltes embrasent les villes, donnant naissance à des mots qui font le tour du monde: «Dégage», «Indignez-vous», «Occupy», «Geraçao à rasca», etc. La deuxième révolution égyptienne est née sous le signe de Attamarrod, vocable porteur d'espoir, traduit par «rébellion» ou désobéissance civile. Les commentateurs étrangers, les présentateurs radio et télé s'y sont mis, chacun avec son accent, son intonation, mais pour son application, c'est en Tunisie, qu'il trouve son terrain. En effet, un parti de gauche désespéré par les jeux et les contre-jeux des constituants, des vrais et fausses conjectures, des prévisions et mensonges, affligé par la situation actuelle et prochaine, a décidé de lancer une campagne de Tamarrod. Automatiquement, cet embryon a trouvé un écho dans la société civile, le succès des contestataires du Caire leur donne des ailes. Ce mouvement revendique rien de moins que la dissolution de l'ANC, la rédaction de la Constitution par des experts désignés et la fixation des dates des élections. Utopie ?