Par Zoubeida Bargaoui (Universitaire) Le président François Hollande fait, en demandant pardon à Oum El Khir Hached, un geste espéré depuis fort longtemps par ceux qui, en Tunisie, sont épris de justice et qui croient en l'universalité des droits humains. Cette attention concerne un homme ayant une dimension universelle, un combattant nationaliste mais aussi internationaliste. Malheureusement, nous ne mettons pas assez en perspective cette dimension. Membre du comité exécutif de la Confédération internationale des syndicats libres (Cisl), Farhat Hached avait en son temps une stature mondiale. Nous ne disons pas assez à notre jeunesse que cet homme a traversé l'Atlantique pour se rendre aux Etats-Unis au début des années cinquante du siècle dernier et qu'il a même sillonné les Etats-Unis comme représentant de la plus grande organisation syndicale du monde libre (par opposition au monde soumis au totalitarisme, le bloc soviétique). Il mettait son poste de représentant de la Cisl au service de la cause nationale, ambassadeur des Tunisiens et porteur de leur aspiration à l'indépendance. Certainement, la propagande bourguibienne avait tendance à mettre préférablement en valeur le leader Habib Bourguiba. On comprend pourquoi l'immense renommée internationale de Farhat Hached était plutôt tue. Pourtant cela est évident. Hached était un syndicaliste à la stature internationale, un Tunisien comme il n'y en a sans doute pas beaucoup, jusqu'à nos jours. J'ai lu que des manifestations ont eu lieu dans plusieurs parties du monde, suite à son assassinat. Rien d'étonnant, étant donné sa représentativité à la Cisl. En l'assassinant, on assassinait un citoyen du monde, un syndicaliste du monde. Le fait que l'Ugtt soit une organisation aussi solide, qui a pu faire face à plus d'une tentative de mise à genoux dont la plus sérieuse est sans doute celle de 1978, ne doit pas étonner notre jeunesse. L'Ugtt possède un immense ancrage international. C'est là la plus grande invention de Hached : inscrire, dès sa création en 1946, l'Ugtt dans la modernité, comme partie d'un monde, celui qui croyait au droit des travailleurs, à leur liberté d'organisation et d'expression. Cette histoire continue avec notre révolution qui, décidément, n'a pas d'autre objectif que de renforcer notre appartenance au monde libre et d'appuyer notre universalité. Un journaliste d'une radio de la place s'est interrogé dans une interview du ministre Khelil Zaouia diffusée samedi 6 juillet 2013: pourquoi F. Hollande n'a pas demandé pardon aux Tunisiens ? Pourquoi (seulement) à la veuve de Hached? Diplomatique, le ministre, lui-même ancien grand syndicaliste de l'Ugtt, a supposé que M. Hollande a dû tenir compte du fait que la vérité n'a pas encore été mise à jour. J'ai personnellement été choquée par la question posée. Comment un journaliste peut-il être à ce point insensible à un symbole de reconnaissance de la fidélité et du courage de cette femme? Les proches d'un martyr ne sont-ils pas les premiers concernés par la perte de l'être cher ? Cette femme avait, dit-on, 22 ans et quatre enfants lorsque son mari a été lâchement assassiné. Le propre des dictatures est d'effacer les individus, leurs histoires personnelles et par là même de déshumaniser les situations. Après presque 60 ans de système de parti unique et de culte de la personnalité, nous en venons à nous interroger sur notre aptitude collective à recouvrer nos capacités d'émotion et d'empathie, qui constitueraient pourtant un bouclier contre l'installation de nouvelles dictatures au nom de quelque idéal que ce soit. Pour moi, au contraire, Oum El Khir Hached, dont j'ai suivi une interview à la télévision il y a quelques mois, est une sorte de légende. Originaire de Kerkennah, mariée très jeune, c'est-à-dire à quinze ans à peine, ce qui était une pratique de l'époque, vite confrontée aux conséquences de la dimension politique de son époux et apparemment douée d'une admirable capacité d'écoute et d'adaptation, elle a fait de la poursuite de la vérité sur son assassinat un sens pour sa vie. Durant cinq décennies, les reportages des informations tunisiennes l'ont montrée présente aux commémorations de l'assassinat de Hached, fidèle parmi les fidèles, silencieuse et attentive, digne. Forte de la solidarité des équipes dirigeantes successives de l'Ugtt mais aussi d'une grande partie du monde politique tunisien, elle a traversé toutes ces années, avec patience et détermination, attendant un changement de mentalités en France et peut-être même en Tunisie? Le vent du changement a fini par souffler. Le monde connaît de grands bouleversements dont la révolution en Tunisie ne semble être qu'une facette. Enfin, un président français, le 9e paraît-il, affronte de son libre arbitre l'Histoire et promet de lever la vérité sur cette injustice. Il exprime ainsi avec force la reconnaissance du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. N'était-ce pas cela le premier combat de Hached ?