Le théâtre politique sacrifie souvent le plaisir au discours. Tsunami, de Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi, s'évite, malgré tout, tout «excès». La pièce fait œuvre utile. Et le spectacle y est. Très attendue, cette toute récente création du duo Jalila Baccar-Fadhel Jaïbi. Pour de bonnes raisons. Le théâtre de Jalila Baccar et de Fadhel Jaïbi a, d'abord, toujours exercé une réelle attraction sur le public, spécialement sur les publics jeunes et les franges intellectuelles, de par l'audace de son propos et sa qualité professionnelle. C'est, surtout, un théâtre qui a fait le choix de coller constamment aux préoccupations de son monde. Celle du rapport au pouvoir tout particulièrement. Tout en découle, tout en dépend. On attendait ce Tsunami de Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi précisément pour cela. La révolution tunisienne a libéré la parole, mais son terrible paradoxe, depuis maintenant près de trois ans, est de remettre encore plus en cause la question du pouvoir simple : on est passé, en un rien de temps, de l'aspiration souveraine à la liberté, la dignité et la démocratie, à une prise de commande, rampante, prégnante, d'un Etat et d'un projet religieux. Une «vague», géante, obscurantiste, a déferlé sur le pays, emportant un rêve que l'on croyait irréversible. Tsunami vient nous le dire, nous en prévenir. Mais, cette fois-ci, sur le ton de l'extrême urgence, sans métaphore, sans allégorie (désormais inutiles), frontalement, en décrivant une réalité que nous hésitions tous à prendre en mains. Bref, en ne mâchant pas ses mots. Ainsi et pas autrement Le public présent mardi soir à «Carthage» (environ trois milliers) avait, lui, visiblement besoin de cette montée en puissance. Silencieux, réceptif, comme satisfait de se voir ainsi secoué, «fouetté», poussé à prendre conscience de «la vague monstrueuse» qui menace de le happer. Message reçu. Mais le théâtre, dira-t-on, son plaisir pur, ses imaginaires, et ses représentations, sortaient-ils indemnes de cette sorte de «manifeste» déroulé «cru» sur l'étendue d'un spectacle? D'aucuns n'ont pas manqué d'émettre des réserves à ce sujet. Faciles, à notre avis. Le théâtre politique est d'abord lié à son engagement, par- dessus tout à son moment. Tsunami est une pièce écrite dans l'urgence. A l'heure où le risque islamiste, pour patent, pour évident, ne semble pas trop donner de soucis à grand monde. La pièce intervient à point. Il ne pouvait en être autrement ni d'une toute autre façon. Voire, on se demande si le risque ne serait pas plus grave, si elle n'était intervenue de cette manière et en ce moment bien précis. Réserves en grande partie injustifiées par ailleurs. Il y avait bel et bien spectacle dans Tsunami. Ce n'était pas que discours frontal et cru. La mise en scène de Fadhel Jaïbi était parfaitement assumée. Sa direction d'acteurs aussi. La prestation de Jalila Baccar, dans le rôle de Hayet, l'intellectuelle révolutionnaire, à la fois harangueuse et désabusée, était dans la justesse. Celle de Fatma Ben Saïdane, qui campait une présentatrice de télévision mi-«danseuse», mi-journaliste, ironique et fourbe, fut un véritable bonheur. De plus, la scène nue et le fond d'écran changeant allaient à merveille avec la lancinance du thème. De même que les files, quasiment chorégraphiques, de comédiens figurant dans une alternance synchronisée, les rassemblements de salafistes et «niquabées» et les gesticulations fébriles ou désespérées des jeunes révolutionnaires. Tsunami, c'est notre sentiment ferme, est à la fois une œuvre utile, ô combien utile, par les temps qui courent, et un théâtre strictement dans les normes, franchement plaisant. Si la pièce tourne, elle fera sûrement le plein. Et immanquablement (politiquement) beaucoup de bruit.