Par Azza FILALI La journée du 25 juillet a vu la fête se muer en drame. Le lâche assassinat du député et militant Mohamed Brahmi a sidéré le pays entier, tout comme, il y a six mois, celui de Chokri Belaïd. Mais, trop de similitudes rapprochent les deux événements. Trop pour être le fait du hasard. Dans les deux cas, la victime sort de son domicile, monte dans sa voiture ; une moto surgit avec deux hommes, l'un tire à bout portant. Dans les deux cas, l'accident se produit quasiment sous les yeux de l'épouse et des enfants. Dans les deux cas, il s'est agi d'hommes connus pour leur assise populaire, plus que pour leur roublardise politicienne ou leur avidité pour le pouvoir...des hommes dont le parler, simple et franc, dénonçait, sans détour, la Troïka et sa «légitimité». Les deux scénarios se superposent comme si les coupables voulaient apposer leur signature et nous éviter de trop chercher... Bien plus, la date choisie possède une symbolique d'une effrayante simplicité. En commettant leur meurtre le 25 juillet, quel message voulaient délivrer les assassins ? Changer la fête en deuil ? Mettre en berne les drapeaux flottant sur les maisons ? En d'autres termes, bafouer la république et la citoyenneté tunisiennes ! Mais pour faire valoir quel autre message ? Sans aucun doute celui du terrorisme, qui fait exploser des voitures dans les rues passantes ou qui vide son chargeur sur un homme, sortant de chez lui à midi. Mais, il est dangereux de manier les symboles, car ce sont des condensés d'affects, de désirs contrariés, de colères rentrées. La symbolique est, par excellence, le lieu où raison et sentiments se conjuguent, menant les êtres à des actes dont ils ne pensaient pas être capables. L'assassinat de Chokri Belaïd a provoqué une commotion au sein de la société tunisienne. Du nord au sud du pays, les citoyens ont clamé leur colère. Mais cette colère a, alors, été désamorcée lors de l'annonce par Hamadi Jebali d'un changement radical de gouvernance, changement qui n'a jamais vu le jour. Aujourd'hui, le pays subit une seconde commotion. Il est à craindre que ses retombées soient plus fortes qu'il y a six mois, un peu comme ces réactions d'hypersensibilité qui, chez un être allergique à un médicament, font qu'il décompense à la seconde prise. C'est que les symboles se retournent, tel un boomerang, contre ceux qui en font un usage pervers. Exécuter des hommes, connus pour leur sincérité et leur amour du pays, ne peut qu'attiser les haines à l'égard d'un pouvoir censé être le seul détenteur de la violence. En se taisant et en acceptant qu'une violence parallèle et illégitime s'exerce à travers le pays, ce pouvoir a contribué à la crise que nous traversons aujourd'hui. Autre résultat : les partis démocratiques, les organisations syndicales et la société civile se ressoudent et forment un front uni, réclamant la démission du gouvernement et la dissolution de l'Assemblée constituante. Dernier symbole et non des moindres, ce 25 juillet que les assassins de Mohamed Brahmi ont choisi, telle une semonce. Cette date a 56 ans d'âge et la république dont les meurtriers voulaient ternir l'image sort grandie de l'épreuve. Les événements de ce 25 juillet vont, sans aucun doute, raviver le sentiment nationaliste chez certains citoyens, jusque-là tièdes et désengagés. Les assassins de Mohamed Brahmi auront, indirectement, soudé bien des Tunisiens à leur République. Mais, par-delà les symboles, la perte de Mohamed Brahmi est grande, irréparable pour ses proches et ses amis, indéfectible pour le pays tout entier. Ce soir, la Tunisie pleure un homme juste.