Malgré la conférence de presse du ministre de l'Intérieur, des interrogations fondamentales demeurent en suspens. Pourquoi a-t-on révélé seulement hier les noms des coupables de l'assassinat de Mohamed Brahmi impliqués dans l'assassinat de Chokri Belaïd ? Pourquoi les terroristes se sont-ils volatilisés quelques minutes avant l'assaut policier de la villa de la cité Ghazala abritant la cellule terroriste, mercredi 17 juillet 2013 ? Auraient-ils été alertés in extremis ? Et pourquoi ces mêmes terroristes sont-ils revenus dans le quartier pour y assassiner froidement Mohamed Brahmi sans être inquiétés et presque à découvert ? Il y a un précipice, un véritable gouffre entre les déclarations rassurantes, voire béates, des gouvernants et les signes alarmants perçus par le commun des citoyens. Et cela en rajoute au profond malaise des Tunisiens. Il faut s'en remettre au constat amer des faits : notre système sécuritaire est défaillant. Il gagne à être revu de fond en comble. Le pays est devenu une passoire où les terroristes entrent et en ressortent comme dans un moulin. Et s'y adonnent en toute impunité au trafic des armes. Les gouvernants ne l'entendent pas de cette oreille. Leur désir d'escamoter les faits frise le burlesque. Que ne les a-t-on entendus, ces derniers jours, clamer haut et fort que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possible. La veille même de l'assassinat de Mohamed Brahmi, Ali Laârayedh, chef du gouvernement, assurait à un parterre de journalistes que la situation sécuritaire est au point. Pathétique ! Le déni de réalité atteint son comble lorsque des dirigeants de la Troïka gouvernante s'évertuent à imputer l'attentat contre Brahmi audit «Etat profond». Là où il est avéré que des terroristes liés à des organisations fondamentalistes islamistes sèment la mort à tout vent. Jusqu'à quand devra-t-on supporter ces grosses couleuvres ? Deux autres questions lancinantes. Pourquoi a-t-on mis au jour les noms des assassins respectifs de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi, alors qu'aucun d'entre eux n'a été arrêté jusqu'ici ? Et pourquoi, dans les deux cas, on a parlé des tueurs sans évoquer le traître mot sur les commanditaires ? Le ministre de l'Intérieur est allé jusqu'à évoquer l'enquête sur l'existence ou non de relation entre «la cellule» et «l'organisation» dans l'assassinat de Mohamed Brahmi. Pourtant, il n'a pas dit de quelle organisation il s'agit. En somme, on feint d'informer en escamotant. On tient la vérité sous le boisseau. On ne dit pas tout. Ou on ne dit rien. Ou presque. Autre volet, qu'en est-il des informations et de leur fluidité entre les services spécialisés militaires et policiers ? On a l'impression que le cloisonnement prévaut en la matière. Bien pis, il n'existe pas encore, sous nos cieux, de structure de coordination institutionnelle entre la sécurité policière et la sécurité militaire. Un vague projet serait à l'étude, tout au plus. Et l'on saisit dès lors la portée de la catastrophe dans l'empressement à dissoudre le département de la sécurité intérieure (DST) aux lendemains immédiats de la révolution du 14 janvier 2011. Des apprentis-terroristes et des nébuleuses terroristes professionnelles en ont profité pour se mouvoir désormais dans le pays comme le poisson dans l'eau. Les Tunisiens, toutes instances, tendances et sensibilités confondues, ont un ennemi commun : le terrorisme. Ils semblent cependant handicapés dans leur désir d'y faire face par le laxisme gouvernemental. Fraîchement promu nouveau président du gouvernement russe, Vladimir Poutine avait déclaré en 1999 qu'il faudrait «buter les terroristes jusque dans les chiottes». Ce qui fut fait en un tournemain. Chez nous, les choses traînent entre les équivoques entretenues, les perspectives brumeuses et le laxisme non déclaré. L'escadron de la mort, lui, frappe toujours, impunément. Et le gouvernement perdure.