Par Abdelhamid GMATI Les Tunisiens refusent et rejettent la violence. Découvrant depuis près de 2 ans la violence politique, ils ont été offusqués par la mort de Lotfi Naghd à Tataouine l'an dernier, puis traumatisés par l'assassinat de Chokri Belaïd, il y a quelque 6 mois, et ils subissent le même choc avec le meurtre de Mohamed Brahmi, tous figures éminentes de l'opposition. Ils ont exprimé leur colère ces trois derniers jours, rejetant la violence et exigeant de connaître et de punir les exécutants et les commanditaires. Des manifestations ont eu lieu un peu partout à travers la République avec les mêmes exigences. On aurait pu penser que cette expression populaire aurait été entendue. Elle l'a été...par certains et pas par d'autres. Certes la condamnation a été unanime aussi bien à l'intérieur du pays qu'à l'étranger. Mais que faire d'une condamnation si elle n'est pas suivie d'effets, d'actes, de propositions, ne serait-ce que pour prévenir ce genre de terrorisme politique ? L'opposition, pour une fois unie, et plusieurs associations civiles font des propositions pour trouver une voie de salut et sortir le pays du marasme qu'il vit depuis quelque temps. Il semble que la gravité de la situation ne soit pas ressentie de la même manière. Dans une interview qu'il s'est empressé d'accorder au journal «Le Monde», notre président de la République s'est voulu rassurant et estime que «tout va bien en Tunisie» et que l'assassinat de Mohamed Brahmi vise à déstabiliser le pays qui se trouve dans le dernier quart d'heure de la période de transition et que la date des prochaines élections allait être prochainement dévoilée. Le peuple tunisien, lui, ne voit pas de dernier quart d'heure. La Constitution ressemble encore à l'Arlésienne (on en parle beaucoup mais on ne la voit pas venir), l'Isie, l'indépendance de la justice, de la presse, le code électoral, le prochain régime politique et d'autres institutions démocratiques se font toujours attendre comme Godot. Les élections, maintes fois annoncées (par M. Marzouki lui-même), sont toujours hypothétiques. Le Premier ministre est aussi intervenu pour condamner l'assassinat mais a tenu des propos lénifiants et n'a convaincu personne. Le ministre de l'Intérieur a fait de même et ses propos concernant l'assassinat rappellent à s'y méprendre à ceux de son prédécesseur lors du meurtre de Chokri Belaïd. Deux personnes identifiées comme exécutants sont recherchées. Il se trouve que le principal auteur présumé est bien connu comme terroriste et a été condamné en France et recherché en Tunisie; comment se fait-il qu'un terroriste identifié et recherché puisse se balader comme bon lui semble, planifier un meurtre et l'exécuter en toute impunité ? Il semble qu'un autre terroriste, impliqué et donc recherché, Marouen Belhadj Salah, a été tué en Syrie à la fin du mois de juin ; la photo de son cadavre a été publiée sur les pages des réseaux sociaux. Rached Ghannouchi, le chef d'Ennahdha, condamne lui aussi mais tient toujours le même discours guerrier, dénonçant «les modernistes», les menaçant, assimilant la protection de son mouvement à la protection de la religion et de la révolution. Une manifestation du mouvement Ennahdha, faisant suite à celle populaire de vendredi matin, appuyait, elle, la légitimité c'est-à-dire le maintien des islamistes au pouvoir. Dans tout ce brouhaha, on oublie l'essentiel : comment en est-on arrivés là, à cette violence, à ces assassinats politiques ? Il est évident que le gouvernement, et en particulier le ministère de l'Intérieur, porte une lourde responsabilité. L'immobilisme, le laxisme voire la complaisance des forces de police face aux très nombreux actes de violence des salafistes et d'autres milices comme les autoproclamées LPR ont conforté ces terroristes, assurés de l'impunité, et les ont encouragés à aller plus loin dans leurs méfaits. A l'inverse, les policiers ont été prompts et efficaces pour tabasser les manifestants pacifiques, les journalistes, les artistes. Jeudi et vendredi, des journalistes ont été agressés à Tunis et Gafsa; des manifestants ont été reçus avec violence et bombes lacrymogènes à Sfax, à Tunis et à Gafsa où on déplore un mort des suites d'un projectile lacrymogène reçu à la tête et quelques blessés. Le syndicat des policiers s'occupe à porter plainte contre des ex-responsables pour complot (alors que cela incombe à la justice et non à un syndicat) contre des artistes, à interrompre un concert et à arrêter des rappeurs qui ne leur plaisent pas, à ne pas sécuriser une manifestation culturelle et à la faire annuler (Balti), à agresser un avocat à Sousse mais laisser agresser un imam bien connu, Férid Béji (à Den Den et à Sousse). Le ministre avoue qu'on ne peut sécuriser tout le monde; soit. Et il impute plusieurs actes de violence à des récidivistes incorrigibles relâchés suite aux diverses amnisties. Pourtant, le ministère ne chôme pas et a révélé, le 15 juin dernier, l'arrestation de 77.504 personnes en 2013. C'est énorme. On peut être tranquille : le jour de l'Aïd, c'est-à-dire dans quelques jours, notre président de la République provisoire nous fera un autre cadeau et nous mettra entre les bras quelques centaines d'autres repris de justice, dont des récidivistes irréductibles. N'oublions pas que notre président pratique parfaitement la fuite en avant, histoire de faire un provisoire qui dure.