Quelques jours nous séparent de l'assassinat de Chokri Belaïd. Le mercredi 06 février dernier restera gravé dans les mémoires des Tunisiens et de tous ceux qui croient et militent pour l'instauration d'une démocratie dans notre pays. Chokri Belaïd a succombé en début de matinée suite à ses blessures par balles tirées à bout portant par un individu qui a pris la fuite à bord d'une moto. La nouvelle de l'attaque armée s'est répandue comme une traînée de poudre, suivie peu de temps après par l'annonce de son décès. Instinctivement, les gens se sont rendus devant la clinique d'Ennasr où les médecins ont tenté de ranimer Chokri Belaïd en vain. La stupeur et la tristesse des premiers instants ont engendré un mouvement de colère incommensurable à travers tout le pays. Les réactions aussi bien dans la capitale que dans plusieurs régions ont été vives. Des manifestations spontanées ont envahi les grandes artères des villes. Des slogans rappelant le 14 janvier 2011 ont été scandés revendiquant la chute du régime, la poursuite de la résistance etc. A Tunis, l'avenue Habib Bourguiba avait des airs de déjà vu, comme si on avait remonté le temps pour nous trouver face à la même foule dense d'il y a deux ans. Le peuple dont une partie avait élu le parti majoritaire au gouvernement, est le même qui, aujourd'hui, est descendu dans les rues pour dire stop à la violence et à l'insécurité qui les a touchés dans leurs quartiers, leurs foyers et leur dignité. Les politiciens de l'opposition se sont réunis sous la bannière de Chokri Belaïd. Désormais martyr, l'intégrité de Chokri Belaïd a uni les Tunisiens et a vaincu leur peur. Dans la rue, ils ont crié leur colère, leur volonté pour que les choses changent radicalement. Loin des plateaux de télévision, plusieurs intellectuels, universitaires et penseurs ont condamné le meurtre de Chokri Belaïd. Certains, à l'instar d'hommes politiques, ne s'étonnent pas de cet acte extrême en le rattachant à d'autres signes avant- coureus qui annonçaient l'imminence d'une catastrophe : attaque du Printemps des arts, menaces de mort proférées à l'encontre des artistes et des journalistes, annulation de manifestations culturelles, profanation des tombes, agression à l'encontre de militants, d'universitaires et la liste est encore longue, sans oublier récemment les incendies méthodiques des mausolées sur tout le territoire . Des actions de plus en plus fréquentes que Chokri Belaïd a condamnées et dont il a annoncé clairement le danger qui plane sur chacun. D'autres intellectuels avancent que l'assassinat est un tournant grave dans l'histoire de la Tunisie. Ils fustigent l'acte lui-même et pensent que le laxisme du gouvernement face aux multiples agressions verbales et physiques à l'encontre de la pensée qui s'oppose à une idéologie importée et véhiculée dans les prêches est responsable de la recrudescence de la violence qui s'est soldée par un meurtre. Ils fulminent également contre les comités de la protection de la révolution, les rendant responsables de l'intimidation et de la détérioration de la sécurité dans toutes les régions du pays. Tous ceux que nous avons croisés répètent que la situation ne peut pas perdurer et que la violence n'est pas la solution. Il faut une union de tous les partis et des membres de la société civile pour faire face à cette nouvelle forme de violence. Pour ces intellectuels, l'assassinat de Chokri Belaïd doit être l'heure zéro qui marquera le point de départ vers la démocratie constructive, l'heure qui sonnera le glas de l'obscurantisme venu d'ailleurs et que certains imams diffusent, l'heure à laquelle il faut dire non au détournement de la révolution et à épurer le pays de la menace terroriste qui le guette. Ils souhaitent voir une unification des forces pour une Tunisie respectée et admirée : celle qui a été l'étincelle du Printemps arabe et celle qui a inspiré, en Europe (en Espagne en premier) et puis dans le reste du monde le mouvement des « Indignés ». Le martyr Chokri Belaïd est parti mais sa voix et son franc parler ont soulevé les indignations du peuple. La force de sa parole et ses diverses déclarations – reprises depuis dans les réseaux sociaux et la presse – sont un raz de marré qui s'insurge contre l'injustice et la violence. Sa dernière prestation télévisée allait dans ce sens. Pacifique, Chokri Belaïd usait du verbe pour neutraliser ses adversaires car c'était un homme imbibé de culture : poète, magistrat, militant pour le droit de chacun et politicien hors pair. Face à ces qualités, la bassesse et la vilenie d'un endoctriné. Les hommes partent, la parole reste. Celle de Chokri Belaïd demeurera intacte dans les esprits et dans les cœurs. Le peuple s'est uni derrière la voix du militant, l'ami de tous ceux qui l'ont connu, peu importe leur appartenance politique ou leur pensée pourvu qu'elles respectent les droits de l'Homme, la liberté d'expression et la démocratie.