Par Abdelhamid Gmati Le Syndicat des magistrats tunisiens devait tenir une conférence de presse mercredi dernier au siège du Tribunal de première instance de Tunis. Une conférence de presse ne peut se faire qu'en présence de journalistes. Les journalistes étaient là mais ils ont été empêchés de pénétrer dans l'enceinte. Ce qui a contraint le syndicat à tenir sa conférence sur la voie publique, dans la rue. L'interdiction faite aux gens des médias émanait du chef de poste de police au Palais de Justice, de son propre chef sans informer ni prendre l'avis du procureur de la République, seul habilité à prendre ce genre de décision. Cela a suscité un tollé général et a été dénoncé aussi bien par le syndicat, que par l'Union des magistrats administratifs que par les journalistes. Il y avait là une triple entrave aux libertés : celle du syndicat désireux de s'adresser à l'opinion publique ; celle de la presse et celle du travail. Voulait-on empêcher le syndicat des magistrats de communiquer des informations sur la situation de la justice ? Peine perdue puisque la présidente du syndicat, Mme Raoudha Laâbidi, a, dans la rue, dit ce qu'elle avait à dire, qualifiant, notamment de « sinistrée » la situation de la justice qui « connaît la pire période de son histoire ». Les entraves aux libertés de presse et au droit au travail pour les journalistes sont devenues monnaie courante. Lors de la réunion de travail entre les parties engagées pour le dialogue national et la Troïka, les journalistes venus pour couvrir l'événement ont été confinés dans un couloir, assis par terre et ont de surcroît subi des agressions de la part de gardes du corps de certains membres de la Troïka. Cet épisode a été relaté dans un reportage d'une chaîne de télévision tunisienne. Il est clair que les journalistes dérangent particulièrement le pouvoir en place. Les exactions, les agressions, les empêchements, les procès, les emprisonnements et même les menaces de mort ne se comptent plus depuis près de 2 ans. On connaît le cas de Sami Fehri qui moisit en prison depuis une année, arbitrairement. Les derniers en date concernent : le cameraman Mourad Meherzi, dont le seul tort a été de filmer une événement culturel au cours duquel le ministre de la Culture a été la cible d'un jet d'œuf ; il a été provisoirement relâché, le ministère ayant retiré sa plainte mais le procès est fixé au 23 septembre ; le journaliste et directeur du journal l'Audace, Slim Bagga, a été libéré après avoir été incarcéré pendant plusieurs jours. Le juge d'instruction du 4e bureau au Tribunal de première instance de Tunis a annulé la décision d'incarcération qu'il avait lui-même prise et a abandonné tous les chefs d'accusation. On sait aussi le limogeage de notre confrère Soufiane Ben Farhat, menacé par un politicien nahdhaoui et qui a entamé une grève de la faim et sa démission de la chaîne Nessma en même temps que l'animateur Hamza Belloumi. Autre exemple de l'opinion des politiques au pouvoir pour les journalistes : celle émise par un leader au mouvement Ennahdha, Ameur Laârayedh lors d'une émission à la télé Watania 2 en s'adressant au journaliste animateur : «Mais qui t'es toi pour discuter et débattre avec moi. Tu n'as pas à donner ton avis sur la question. Je suis un politique venu m'exprimer au nom de mon parti et je n'ai nullement besoin de ton avis». Autre entrave, celle faite à la liberté de circuler. Notre journal a rendu compte dans son édition du jeudi 5 septembre de cette interdiction faite aux femmes de moins de 35 ans de voyager sans autorisation. Le ministère de l'Intérieur a démenti l'information relatée par plusieurs médias. Selon le ministre de l'Intérieur (témoignage de l'avocate Bochra Belhaj Hmida rapporté par notre journal), «ces mesures à l'encontre des jeunes sont là uniquement pour s'assurer qu'ils n'iront pas combattre en Syrie ». En attendant, 26 personnes ont témoigné que ces restrictions sont appliquées indifféremment puisque outre les femmes, des hommes ont également eu à subir les interdits. Tel cet homme d'affaires se rendant en Turquie pour un séminaire et qui s'est vu demander une « autorisation parentale»; précisant son âge de 27 ans, on lui a répondu : «L'autorisation est nécessaire jusqu'à 33 ans ». Puis on le bombarda de questions portant sur sa spiritualité, sur sa fréquentation, sur ses prières...On lui expliqua, en guise d'explications, qu'il y avait de nouvelles mesures et que c'était pour son bien. On peut se demander de quel droit empêche-t-on une personne de voyager. Tout le monde avoue que c'est illégal mais on le fait quand même. Après tout, on nage dans l'impunité et même ceux qui ont la charge d'appliquer la loi et de s'y conformer, ne la respectent pas et inventent des règlements personnels et partisans. Et dire qu'on ose parler de démocratie.