Dans le contexte tunisien actuel, le thème de la réconciliation trouve-t-il facilement sa place? A l'occasion du 50e anniversaire du Traité de l'Elysée, qui a permis d'établir de nouveaux rapports entre la France et l'Allemagne après la Seconde Guerre mondiale, les sections culturelles des deux pays en Tunisie ont organisé un concours de courts-métrages sur le thème de la réconciliation. Les projets sélectionnés ont été projetés vendredi dernier au Colisée. Une dizaine de films ont ainsi été réalisés grâce à ce projet, où les organisateurs, à savoir les ambassades des deux pays, le Goethe institut, l'Institut français de Tunisie et le Fonds culturel franco-allemand, se sont adressés aux écoles de cinéma publiques et privées pour trouver les participants. Ce choix a sanctionné les indépendants, mais a permis aux réalisateurs des écoles de cinéma de travailler avec des équipes formées de leurs collègues et amis de classe. Plusieurs noms se sont répétés dans les génériques pour différentes tâches. Les projets ont bénéficié d'une aide à la production et les étudiants ont été accompagnés par des professionnels allemands et français, dans le cadre d'un atelier d'écriture et de réalisation. Le démarrage de la projection a été décevant avec un court-métrage au discours très direct et à la réalisation maladroite. Kinothérapie, signé Ahmed Torchani, commence pourtant sur une idée qui s'inscrit bien dans le thème du concours. Il filme, en effet, un activiste et un policier, tous deux dans la vingtaine, qui se retrouvent à partager une chambre d'hôpital, souffrant de fractures, l'un aux bras, l'autre aux jambes. Ils doivent donc cohabiter et cela passe par une «réconciliation». Le deuxième film, A ma fille de Charlie Kouka, évoque dans une forme plus étudiée et mieux exécutée, l'évolution d'une relation père-fille. Quant à Hamadi Ben Slimane, il a signé dans son court-métrage d'animation (Les liens qui nous unissent) une réflexion élaborée —bien qu'inachevée— autour de la citation de Guy Bedos «le vrai plaisir de la dispute, c'est la réconciliation». De son côté, Rim Haddad a offert au public six minutes d'un univers cinématographique qu'elle a su créer et mettre à l'écran avec beaucoup de sensibilité. Baya, son court-métrage, raconte la réconciliation avec soi et avec son corps. Trois grandes distinctions La deuxième moitié des films de la compétition était d'une qualité fluctuante. Entre l'idée et sa réalisation, le chemin est parfois semé d'embûches. L'essentiel semble, dans certains films, tourner autour de l'idée. Plus cousins que jamais raconte comment deux voisins, l'un juif, l'autre musulman intolérant, ont eu à passer par une même épreuve qui les a unis, quand leurs deux enfants ont eu un accident ensemble. Les fiançailles de Moëz Cheikh se distingue, quant à lui, par un traitement original, qui passe par un humour intelligent et non consommé, pour filmer la rencontre entre deux familles venant de deux classes sociales différentes et dont les enfants tombent amoureux l'un de l'autre. En s'inspirant du court-métrage Le mur vous demande : ça va? de Ahmed Hermassi, Maroua Ben Romdhane a réalisé Ici on ne vend que du pain où elle démontre que pour le simple Tunisien, la révolution a éclaté juste parce qu'il a besoin de pain, autrement dit de dignité au quotidien. Vis-à-vis de Malek Hebiri, deuxième et dernier court-métrage d'animation en compétition, est basé sur la symbolique du mur qui sépare les êtres et les pensées. Il a été suivi par La tombe de Brahim Benyakhou, une fiction inspirée de l'incident du saccage du cimetière juif à Tunis. Enfin, Au temps de la révolte de Youssef Ben Ammar est venu clore en beauté la projection sous forme d'un poème filmé de la révolution. Le moment tant attendu par les participants s'est ensuite présenté avec la remise des prix de la part du jury, composé par la Tunisienne présidente d'Al Bawsala, Amira Yahyaoui, du cinéaste et producteur allemand Andreas Eicher et d'André de Margerie, directeur des relations internationales d'Arte. Ils ont remis une mention spéciale à La tombe, le deuxième prix à A ma fille de Charlie Kouka et le premier prix au court-métrage Au temps de la révolte de Youssef Ben Ammar. Un palmarès qui n'a peut-être pas fait l'unanimité, mais on ne peut que se réjouir pour les gagnants et pour tous les participants dont certains ont pu réaliser leur premier court-métrage, grâce à ce concours. Cet exercice de cinéma leur a de plus permis d'élaborer une réflexion sur un sujet controversé dans le contexte actuel de la Tunisie, que Amira Yahyaoui a qualifié dans son allocution de «tout sauf réconciliateur». Sachant que le traité de l'Elysée n'a été signé entre la France et l'Allemagne qu'en 1963, c'est à dire 18 ans après la fin de la guerre, combien de temps faudra-t-il aux Tunisiens pour réaliser la réconciliation et arriver à bon port?