On reproche souvent au malouf sa répétitivité, parfois aussi sa «monotonie». Erreur quand il s'agit du malouf à l'école des «Gharsa». La saison culturelle 2013-2014 démarre en trombe, et en musique. Jeudi 3 octobre «Mûsîqât donnait le ton à Ennejma Ezzahra. L'«Octobre musical» suit à l'Acropolium de Carthage, vendredi, au Théâtre municipal de Tunis, c'était au tour de l'ensemble de l'association «Carthage pour le malouf et la musique tunisienne» d'inaugurer son cycle de concerts mensuels (le deuxième depuis sa création) au titre de la nouvelle année. Les amoureux du classique, en tous genres, sont comblés, et ce n'est pas fini. Le 25 de ce mois, la troupe de la Rachidia prendra le relais avec comme invitée de marque, Sonia M'barek. Le concert inaugural de l'association «Carthage» n'a pas drainé la foule habituelle. Petite surprise quand même, car Ziad Gharsa (rien moins!) était aux commandes et, pour une grande partie, au luth et au chant. Mais cela se comprend, le moment politique, plutôt morose, n'incite pas trop à sortir. La pause de l'après-festivals d'été, un peu plus longue cette fois-ci, a dû aussi freiner, un tant soit peu, l'ardeur des publics. Excellent niveau artistique N'exagerons rien pour autant. La Bonbonnière s'est animée d'une belle assistance: même goût et même passion pour la musique des sources. Et même qualité d'écoute. La soirée, quant à elle, fut d'un excellent niveau artistique, voire, on a eu droit à un programme soigneusement préparé et travaillé, empreint, surtout, de recherche originale, et dans une assez large mesure, ponctué d'intéressantes «relectures» et «innovations». On reproche souvent au malouf, au répertoire de la tradition en général, sa «répétitivité», parfois sa «monotonie». La présence de Ziad Gharsa à la direction de l'ensemble de l'association «Carthage» aide beaucoup, si l'on y regarde bien, à éviter ces «pesanteurs». Qui a connu l'illustre père et maître, le regretté Tahar Gharsa, a certainement déjà constaté que c'était le souci et le style de toute une école: «dépoussiérer» les «noubas», coupler les suites andalouses et les chansons du patrimoine, «vivifier», en un mot, le malouf d'origine, l'adapter aux sensibilités de l'époque. Le fils prodige continue l'œuvre du père et maître. Il n'est pratiquement pas une occasion de concert où il ne propose sa touche rénovatrice, soit en allégeant les «contenus», soit en dynamisant les «tempos», soit même en adjoignant sa propre «réécriture», à travers les découpages, les distributions et les arrangements d'orchestre, mieux : à travers une quête constante de nouvelles sonorités. Vendredi, en tout cas, on en a eu un échantillon de choix. Presque une démonstration «référentielle», méthodique, «académique». Improvisations Depuis le samaï d'ouverture (Rasd Eddhil), à la nouba, savamment résumée, sur le même mode, au «tatriz», succulent, du foundou «chouchana» avec le «chgol» célèbre, appris par des générations d'élèves du secondaire, Raâytou Erriadh, jusqu'aux chansons du patrimoine présentées, toutes, et sans toucher à l'essentiel des mélodies, sous des formes «vocales» ou «orchestrales» finement et intelligemment conçues, et à la fois emplies de séduction. Deux exemples qui ont visiblement ravi le public : une «version» du chef-d'œuvre du regretté Kaddour Srarfi Lanmathelek Bichamss, interprété par une jeune voix inspirée, très sensible, celle de Mohamed Ali Chebil, et une autre (retransformée celle-ci) de Fil Ghorba Fnani, chantée, jusqu'à l'extrême émotion, par la jeune Aya Daghnouche, un talent rare, et une cantatrice en devenir, appelée sûrement à une grande carrière. Deux beaux moments, vraiment, alliant le plaisir du chant à celui de la découverte et de l'innovation. Ziad Gharsa en a eu spécialement le mérite. Il a revisité des morceaux du patrimoine, en apparence définitivement aboutis, il en a ressorti des beautés secrètes dont nul ne s'est jamais douté. C'est seulement à travers la recherche de l'indicible que perdurent les musiques de la tradition. Mais on ne terminera pas sans évoquer les autres prestations de Ziad Gharsa lors de ce concert inaugural. On connaît bien sûr les qualités exceptionnelles du chanteur et du soliste luthiste. Confirmation totale vendredi. Avec, cependant, (il faut y insister) des passages, hors normes, dans les impros chantés. quassid ou «aroubis». A chaque fois, ce sont de véritables joyaux : justesse, délicatesse, invention, érudition. Celui qui a précédé Fah El anbar, ce vendredi à la bonbonnière, nous colle à l'ouïe, ce fut un des meilleurs «aroubis» de Tahar Gharsa dans les années 60. Ziad Gharsa l'a repris au «menu détail», tel quel, il en était habité... et tout ému. Le théâtre entier écoutait... dans le recueillement.