« Dieu voulait que l'Islam soit une religion, mais les hommes ont voulu en faire une politique » (Mohamed Saïd Al Ashmawi). Par Lilia Ben Salem Haj Khelifa Il y a quelques mois à Tunis, le thème de la conférence d'un célèbre politologue français, spécialiste de l'Islam et du monde arabe contemporain, était : «La révolution tunisienne a-t-elle été trahie ?» Etrangement, la réponse n'était pas aussi claire et tranchée que certains auraient pu le croire... En considérant que les slogans de ceux qui sont sortis dans la rue, de ceux qui ont risqué leur vie et surtout de ceux qui y ont laissé leur vie, étaient «liberté, dignité, travail» et non «khalifat, chariaa, niqab», la réponse me paraît un peu plus évidente. Les contestataires et les martyres sont les véritables faiseurs de ce que nous avons désormais coutume d'appeler le Printemps arabe, les gouvernants d'aujourd'hui n'ont rien eu à faire sinon de se baisser pour en récolter les fruits... La bonne question ne serait-elle pas alors : Qui sont les contre-révolutionnaires de la révolution tunisienne ? Contre-révolutionnaires ou pas, les islamistes sont aujourd'hui au pouvoir dans notre pays et il me semble que, du point de vue de leur provenance géographique, on peut les classer en deux catégories: - Les «importés» : les exilés, les privilégiés, ceux qui ont vécu pendant plusieurs décennies à l'étranger, financés par certains pays du Golfe. Ils ont créé des entreprises (parfois très prospères) et n'ont jamais été vraiment inquiétés ou dérangés par l'ancien régime (même si certains aujourd'hui clament haut et fort le contraire). - Les «locaux» : les persécutés, ceux qui ont croupi dans les geôles de l'ancien régime, qui ont été menacés, torturés, qui ont vécu ce qu'un être humain peut vivre de pire dans sa chair, dans son âme... Des années de prison, d'isolement, de sévices, pour eux et souvent leur famille... Eh bien, figurez-vous que, pour une fois, la production locale tunisienne semble de bien meilleure facture que les produits d'importation ! Explication : les premiers sont les plus virulents, les plus extrémistes, les plus intolérants. Leur philosophie se résume parfaitement bien dans une phrase, désormais célèbre, de la progéniture de l'un d'entre eux : «Mon père a souffert pendant 20 ans, c'est aux autres de souffrir aujourd'hui». Bel exemple de charité musulmane ! Les seconds semblent être plus «modérés» (en partant du principe qu'il existe des islamistes modérés), plus ouverts et plus enclins à la démocratie... Peut-être n'est-ce qu'une façade qu'ils affichent, peut-être le fond est-il le même ? Honnêtement, je l'ignore. J'essaie tous les jours de me persuader du contraire, mais il faut avouer que j'y crois de moins en moins... Et les raisons de mon pessimisme sont nombreuses, la principale étant les aberrations quotidiennes qui nous sont servies çà et là, soi-disant au nom de l'Islam... Le sentiment général s'apparente à un vaste marchandage, de vente et d'achat de tapis, de négoce, de troc, de manipulation, d'idées s'approchant du mercantilisme bien plus que de la spiritualité... Bref, du commerce. Le nec plus ultra, la dernière création de la maison «Je manipule la religion et j'en fais n'importe quoi » s'appelle le nikah el jihad, autrement dit la « guerre sainte du sexe » ou comment légitimer la prostitution, y compris celle des mineures... Ne vous y trompez pas, il existe un remède: une éminence du parti au pouvoir aurait suggéré d'adopter les enfants illégitimes nés de ces «unions». Car il faut bien le savoir, ces pratiques sexuelles avec les combattants sur le front syrien sont, du point de vue de l'Islam commercial, légitimées par le zaouaj el orfi ou «mariage coutumier». Chers gouvernants, la religion n'est pas un menu à la carte : vous ne pouvez choisir et prôner ce qui vous arrange politiquement, ignorer ce qui dessert vos intérêts et manipuler les préceptes à votre avantage. Vous commercez avec l'Islam, vous le détournez de ses véritables intentions et trompez ceux qui vous ont fait confiance sur ses bases. Essayez d'être honnêtes et ayez le courage de dire à vos gouvernés certaines vérités, simples, mais qui ne les feront plus jamais revoter pour vous : - Rappelez-leur que si «la propreté relève de la croyance et que la saleté relève du diable», nous sommes devenus une nation satanique ! - Apprenez-leur que s'endetter pour acheter un mouton pour l'Aïd n'est pas dans la philosophie même de l'Islam, expliquez-leur qu'il suffit d'acheter de la viande d'agneau, d'en consommer une partie et de faire don d'une autre pour perpétuer la tradition et la mémoire du prophète Abraham : l'Islam est religion de facilité et non de difficulté. - Inculquez-leur que pour être un bon musulman, il s'agit d'être avant tout un honnête citoyen, avec un sens civique, respectueux des lois qui distinguent l'homme de l'animal. - Avouez-leur que l'ambition politique fait appel aux instincts humains les plus vils, les plus bas et les plus inavouables, alors que l'Islam, le vrai, cultive beauté, spiritualité et sublimation de l'âme humaine. - Reconnaissez enfin que vous ne proliférez que sur le terrain fertile du plus vaste des champs : celui de l'ignorance et de la misère. Dans les contrées lettrées, instruites et cultivées (qui restent encore malheureusement très minoritaires en Tunisie), vous êtes raillés, ridiculisés et tout le monde reconnaît volontiers que votre impopularité n'a d'égale que votre incompétence à gérer les affaires de ce pays. Quant à vous, sachez que le Dieu avec lequel vous osez faire commerce et au nom duquel vous faites des promesses n'est pas dupe : il saura distinguer, le moment venu, ceux qui ont œuvré pour le bien de leur prochain, sans arrière-pensée électoraliste ou ambition personnelle, de ceux qui ont utilisé sa parole pour berner de pauvres mortels et arriver là où ils ne seraient jamais arrivés sans elle...