Par Abdelhamid GMATI M. Ali Laârayedh, chef du gouvernement provisoire, a tenu à rassurer les Tunisiens quant à leur sécurité. « La situation sécuritaire dans le pays s'est nettement améliorée », a-t-il affirmé au sortir d'une réunion sécuritaire tenue au Palais de Carthage, ajoutant que « les risques et les défis sécuritaires auxquels le pays est confronté ne sont pas si durs à relever ». Dans la foulée, il a souligné « l'excellent comportement des deux institutions sécuritaire et militaire ». De fait, notre armée nationale s'est engagée résolument dans la lutte contre le terrorisme, débusquant et mettant hors d'état de nuire les terroristes retranchés au Chaâmbi, ainsi que leurs complices dans la région. De leur côté, les forces de l'ordre traquent sans discontinuer les trafiquants d'armes, les poseurs de bombes et les cellules terroristes. Avec succès, chaque jour amenant son lot d'arrestations et de découvertes d'armements. On ne peut que s'en féliciter même si des menaces d'attentats persistent et que des groupes terroristes sont encore à dénicher. De la même manière, il semble que les enquêtes menées pour découvrir les responsables des assassinats des regrettés Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi ont permis l'arrestation de personnes impliquées (dont un ancien policier) dont les aveux seront, incessamment, dévoilés par le ministre de l'Intérieur. Dans ce registre, on se sent conforté, les forces sécuritaires accomplissant leur mission de « servir et protéger ». Mais leur comportement est-il aussi exemplaire partout ? On a beaucoup ergoté sur cette agression (condamnable, en soi) d'un comédien qui a lancé un œuf sur le ministre de la Culture. Mehdi Mabrouk a déposé une plainte contre son agresseur pour « coups et blessures ». La police, elle, a arrêté, non pas le contrevenant mais le photographe Mourad Mehrezi, présent pour couvrir un événement culturel auquel participait le ministre. Il se trouve que le travail du journaliste dément la version du ministre, le comédien n'ayant pas frappé le ministre mais a jeté un œuf. Les internautes (et les autres) tunisiens ont tourné l'action de la police en dérision lançant un avis de recherche contre la poule qui a pondu l'œuf. Un journaliste et une représentante d'une organisation internationale ont été arrêtés et détenus durant plusieurs heures à Foussana (gouvernorat de Kasserine) juste parce qu'ils se trouvaient sur les lieux. Le Centre tunisien pour la liberté de la presse a recensé le plus haut nombre d'agressions contre les journalistes au mois de juillet et a souligné que les forces de l'ordre sont les premiers agresseurs (18 sur 40). Les sit-in qui se tiennent sans discontinuer depuis le 25 juillet (assassinat de Mohamed Brahmi) à Tunis et dans d'autres villes sont périodiquement perturbés par des forces sécuritaires. Le ministre de l'Intérieur a, maintes fois, affirmé que les manifestations et les sit-in pacifiques profitent de la protection policière. Et pourtant...Plusieurs sources parlent d'une police parallèle. Même les syndicats des forces de l'ordre dénoncent des nominations partisanes au ministère de l'Intérieur. La toute récente décision du ministre de l'Intérieur semble accréditer ces allégations. Il vient, en effet, d'écarter de leurs postes deux hauts cadres précédemment nommés pour leurs affinités avec le mouvement islamiste au pouvoir. Là, la police sert un parti et non la République. Dans son intervention, précitée, le chef du gouvernement a affirmé « qu'il n'y aura aucune hésitation ou recul face à ceux qui, par le terrorisme, l'anarchie ou la révolte, porteront atteinte aux institutions de l'Etat ». Cette déclaration a été interprétée comme une menace contre les manifestants au Bardo et ailleurs qui exigent la démission du gouvernement et la dissolution de l'Assemblée constituante. Cette menace est brandie à quelques jours du déclenchement annoncé de la campagne « Errahil » (dégage) qui, à partir du 24 août, et pour une semaine dite « de la colère », va exiger le départ des gouverneurs, délégués et autres responsables régionaux et locaux, nommés selon des critères partisans (Ennahdha). Les organisateurs de cette campagne (partis de l'opposition et représentants de la société civile) ne cessent de proclamer que cette action sera pacifique, consistant en des manifestations et des sit-in. Est-ce à dire qu'il y aura recours à la répression et à la violence ? Plusieurs responsables parmi les gouvernants et le mouvement islamiste ont brandi cette menace directement ou sous forme de mise en garde. Dans ce cas, condamnable et inadmissible, la situation du pays sera désastreuse. Et la police sortira de son rôle de « servir et protéger » pour revenir à ses pratiques du temps de la dictature et être au service du régime au détriment du peuple et de la République. La Révolution aura-t-elle éliminé une dictature pour la remplacer par une autre, pire que la première ? Espérons que le gouvernement provisoire a conscience de ses responsabilités historiques.