Le juge auditionne le concerné chez lui et le maintient en liberté Dans le cadre de son enquête sur l'atteinte à la sûreté de l'Etat, le juge d'instruction chargé de l'affaire s'est rendu, hier, au domicile de l'homme d'affaires Kamel Letaief, où il l'a auditionné avant de décider de le laisser en liberté. Mais bien des observateurs s'interrogent sur la présence de plusieurs membres des ligues de protection de la révolution devant le domicile du concerné lors de la visite du juge qui était escorté par les forces de l'ordre, d'une part, et la manière dont a procédé ce dernier, d'autre part. Commentant le premier volet, l'avocat de Kamel Letaief, Nizar Ayed, fait remarquer que la Ligue de protection de la révolution du Kram a annoncé, depuis vendredi, soit 24 heures avant l'audition, que Kamel Letaief serait arrêté. Ce qui fait penser, selon lui, à une démarche douteuse. « Comment se fait-il qu'une information supposée être confidentielle ait pu être divulguée de cette manière ? », s'interroge Nizar Ayed. Dans la même optique, il relève que les enquêtes menées par la brigade centrale des investigations de l'Aouina ont pu établir que les SMS relatifs aux informations concernant des opérations terroristes, que l'intéressé a reçus, ont été envoyés par un individu proche des cinq personnes impliquées dans ces opérations. Il ajoute que ces derniers ont des relations avec le plaignant dans cette affaire, Chérif Jebali. Ce qui n'éloigne pas la probabilité que ce dernier soit derrière l'envoi de ces messages. Nizar Ayed précise, de surcroît, que le mandat d'amener à l'encontre de Kamel Letaïef n'est pas légal, vu que la loi stipule qu'une telle démarche n'est permise que lorsque le concerné refuse de comparaître devant le juge d'instruction, qui est en possession de trois demandes datées différemment. Justice et politique interfèrent L'autre question formulée par Ahmed Rahmouni, président de l'Observatoire tunisien pour l'indépendance de la magistrature, et les avocats Amor Safraoui et Charfeddine Kallel concerne le déplacement du juge d'instruction au domicile d'un citoyen ordinaire un jour férié. Se référant à l'article 288 dû Code de procédures pénale, qui stipule que les membres du gouvernement sont entendus dans leur demeure ou leur cabinet et qu'ils ne sont pas cités au débat, sauf nécessité absolue, il a indiqué que le juge d'instruction aurait dû auditionner le concerné dans son bureau, au tribunal de première instance. Se référant à l'article 56 du même Code, M. Rahmouni a encore précisé que «le juge d'instruction se transporte d'office, ou sur réquisition du procureur de la République, sur les lieux de l'infraction, au domicile de l'inculpé ou en tout autre endroit où l'on présume pouvoir trouver des éléments utiles à la manifestation de la vérité. Et que s'il se transporte d'office, il doit aviser le procureur de la République et nonobstant l'absence de ce dernier, il peut procéder aux opérations nécessaires. L'inculpé est transféré au lieu où s'effectue le transport, si sa présence paraît nécessaire». Pour leur part, maîtres Amor Safraoui et Charfeddine Kallel précisent que vu que l'affaire concerne un citoyen ordinaire, le juge d'instruction aurait dû l'auditionner au tribunal. En cas de refus de présence de la part du concerné, le juge doit confier la tâche à la police judiciaire, selon les mêmes sources. Commentant l'affaire, les deux avocats ont laissé entendre que la rapidité avec laquelle le juge d'instruction a réagi donne à penser que la politique et la justice semblent interférer dans cette affaire, qui traîne encore, laissant une mauvaise odeur dans les coulisses.