Tout un réseau national d'acteurs sociaux affiche son engagement à aller jusqu'au bout pour réclamer l'arrêt immédiat des dettes dites odieuses L'on a pu évincer un dictateur, mais sans se débarrasser de sa dictature. La dette, dont la valeur totale a été estimée à plus de 41 millions de dinars amassés tout au long du règne de Ben Ali, a alourdi le fardeau de l'Etat et hypothéqué le pays. Même après la révolution, les gouvernements successifs n'ont pas manqué de débourser quelque 7.326 milliards, en guise de taux d'intérêt comptabilisés au titre des budgets de l'Etat. « Ce n'est pas notre dette », «Arrêtons de la payer », « Notre argent, nous en avons beaucoup besoin» : voilà l'essence d'un appel lancé par la Rencontre citoyenne de lutte contre la dictature de la dette, lors d'une conférence de presse tenue, hier matin, au siège de l'Ugtt à Tunis. Est-il légitime aujourd'hui qu'une société en métamorphose, tournée vers l'avenir, se trouve contrainte d'assumer les péchés du passé ? « Il est aussi dérisoire que paradoxal de voir continuer une telle hémorragie financière, au grand dam de l'économie nationale qui souffre d'une récession sans précédent». C'est en ces termes que M. Fethi Chamekh, porte-voix du Rassemblement pour une alternative internationale de développement (Raid), membre de la Rencontre citoyenne, a commenté, dans son allocution d'ouverture, le mutisme du gouvernement à l'égard de cet état de crise de confiance et d'investissement, en poursuivant le paiement des dettes des années de la dictature et de la corruption. Alors qu'il aurait dû, selon lui, les injecter dans le marché local pour relancer la machine de l'économie et faire bénéficier les régions des projets de développement. D'ailleurs, au lendemain de la révolution, ce collectif associatif avait déjà donné le coup d'envoi d'une campagne nationale pour l'annulation des dettes de Ben Ali. A la société civile de réagir... Et M. Chamekh de préciser : « Aujourd'hui, cette campagne reprend de plus belle dans son édition tunisienne, visant à effacer les fautes du passé et à mettre un terme à la passivité gouvernementale en la matière. Mardi prochain, à Bruxelles, la campagne aura à prendre une dimension plus large à l'international, à laquelle parlementaires européens et société civile vont participer». D'après lui, il n'est plus possible de se taire et de laisser les choses continuer ainsi. C'est pourquoi, a-t-il argué, tout un réseau national d'acteurs sociaux regroupant Raid, jeunes étudiants (Uget), diplômés chômeurs (UDC) et bien d'autres amis étrangers, affiche son engagement à aller jusqu'au bout pour réclamer l'arrêt immédiat de ces dettes dites odieuses, de par leur lourd impact sur le vécu socioéconomique du citoyen. « Car une somme de 7.326 millions de dinars n'est pas si peu pour être partie en fumée, au lieu d'être dépensée dans la dynamique productive », a-t-il affirmé. D'autant plus, déplore-t-il, que le pays traverse actuellement une crise financière, aggravée surtout par un budget 2014 perçu comme un véritable coup dur dans le corps de l'économie. Dans le même ordre d'idées, M. Salem Ayari, secrétaire général des diplômés chômeurs (UDC), a appelé la société civile à réagir. « Le peuple tunisien, qui s'est révolté contre la tyrannie, n'est plus obligé de payer la dette de la dictature au détriment des demandes croissantes d'emploi », a-t-il déclaré, reprochant à la diplomatie tunisienne post-révolutionnaire de ne pas bouger le petit doigt dans ce sens. « Et bien que cette dette ait été dépensée du temps de l'ancien régime, on ne l'a jamais vue servir concrètement à travers la création de projets et d'emplois», a-t-il fait valoir. Faire davantage de pression Et comme cette question est d'envergure, Mme Christine Virgia, députée européenne de gauche, a eu son mot à dire : «Quel est le rôle des pays européens depuis la chute du dictateur Ben Ali ? », s'interroge-t-elle. Sa réponse est que ces pays avaient déjà fermé les yeux sur la dictature et il a fallu que Ben Ali soit chassé pour qu'ils changent de discours. Evoquant la conférence du G8 à Deauville, la députée a rappelé, sur un ton ironique, que les pays européens n'ont pas tenu leurs promesses, en termes de soutien financier à la Tunisie et à l'Egypte. Et de poursuivre en indiquant que l'UE n'a fait que continuer à négocier, pour ses propres intérêts bien entendu, les accords de libre-échange en matière de services et d'agriculture. Cela dit, la politique européenne n'a pas changé envers la Tunisie. Selon elle, même l'aide subventionnée entre 2011 et 2013 pour la Tunisie n'a pas été à la hauteur des enjeux, d'autant plus que le volume de ses dettes va encore crescendo. D'où, dit-elle, l'impératif de mener la bataille et de faire davantage pression pour que ces dettes cessent. Mme Virgie forme enfin le souhait que le rendez-vous de Bruxelles, mardi prochain, porte ses fruits et donne un coup d'accélérateur à ladite campagne.