Faut-il continuer à payer les dettes dites «odieuses» contractées par le président déchu et qui n'ont pas atterri en Tunisie puisqu'elles ont été détournées vers des banques à l'étranger sur les comptes de Ben Ali et de ses proches ? La question a été posée, dès les premiers jours de la révolution de la liberté et la dignité, par plusieurs organisations de la société civile dont, en premier lieu, le Rassemblement pour une alternative internationale de développement (Raid) qui milite depuis sa création en 1999 et l'obtention de son visa légal en mars 2011 «pour l'annulation pure et simple de ces dettes odieuses». La campagne d'information et de sensibilisation menée par l'association Raid semble avoir rencontré un écho favorable auprès de 25 constituants à l'ANC qui ont pris l'initiative d'introduire, le 4 août dernier, auprès du bureau de la Constituante, un projet de loi appelant à opérer «un audit sur les dettes extérieures de la République tunisienne». Les auteurs du projet de loi appartiennent à plusieurs partis politiques représentés au sein de la Constituante, à des groupes parlementaires constitués de constituants indépendants ou à des formations dissidentes du CPR (Mouvement Wafa) ou d'Al Joumhouri (le PDF - courant des réformateurs). Les grandes dispositions du projet de loi Comportant quinze articles, le projet de loi a pour objectif — comme le stipule son premier article — de faire «astreindre toutes les conventions de crédits conclues par le gouvernement tunisien du 8 novembre 1987 jusqu'au 14 janvier 2011 à une opération d'audit et de révision dans le but de déterminer la part odieuse contenue dans l'ensemble des dettes tunisiennes». Cette opération d'audit sera conduite par une «commission d'audit bénéficiant de l'autonomie administrative et financière». Elle soumettra ses conclusions à la commission des finances relevant de l'Assemblée nationale constituante ou à l'Instance qui exercera la mission de promulguer les lois (le futur Parlement). Que signifie l'opération d'audit et quels sont les objectifs que cherchera à réaliser l'opération de révision des dettes contractées par le gouvernement déchu ? Selon l'article 4 du projet de loi, l'opération d'audit consistera à «sonder et à évaluer l'opération de négociation à propos des dettes et de leur restructuration. Elle comporte également la mise au clair de la responsabilité de la mauvaise utilisation de ces dettes, laquelle utilisation est en contravention avec les intérêts nationaux du peuple tunisien». Quant à la révision, elle a pour objectif de «déterminer la source des recettes financières extérieures et la manière avec laquelle ces recettes ont été utilisées et ce afin de s'assurer de la légitimité, de la transparence et de la qualité de ces crédits, conformément à la convention de Vienne, en date de 1961, relative à la loi sur les conventions de crédits». A propos de la composition de la Commission d'audit et l'élection de ses membres, les articles 5 et 6 du projet de loi prévoient qu'elle comprenne plusieurs personnalités appartenant au monde de l'économie et des finances, ainsi que des représentants des organisations et associations civiles ayant une certaine expérience dans les domaines de l'audit et de la dette publique, outre des représentants des instances internationales spécialisées. Toutes ces personnalités, une fois désignées par l'ANC, auront la charge d'élire le président de la Commission, son vice-président et son rapporteur. Le paiement des dettes sera-t-il suspendu ? Reste maintenant à savoir si le paiement des dettes qui s'avèreront «odieuses» sera suspendu, selon le projet de loi. L'article 10 est, on ne plus clair, dans la mesure où il stipule textuellement : «La commission soumet, à la clôture de l'opération d'audit, ses recommandations à l'instance exerçant le pouvoir de légiférer, y compris celles relatives à l'amélioration du système national de conclusion de crédits auprès de l'étranger. L'audit d'une créance donnée n'implique pas la suspension de son paiement». (traduction de la rédaction) Cet article pose problème dans la mesure où il est susceptible, selon certains observateurs, de vider le projet de loi de tout son sens. Fathi Chamkhi, porte-parole de Raid, soutient qu'«un préalable pareil contredit de fait l'esprit et l'objectif de l'audit». «Pour nous — poursuit-il — l'objectif est clair : l'annulation pure et simple de ces dettes odieuses. D'autre part, nous demandons la suspension du paiement du service de la dette durant la période des 18 mois que dureront les travaux de la commission (article 11 du projet de loi)». Le porte-parole de Raid s'interroge: «Comment justifier le fait de poursuivre le paiement d'une créance au cas où la commission d'audit arriverait au cours de ses travaux à déterminer, avec précision et preuves à l'appui, que cette créance est odieuse?». Au final, il considère que le «gel des opérations de paiement en attendant les résultats de l'audit est tout à fait logique et compréhensible».