Les juristes et les acteurs de la société civile ont mis en garde à plusieurs reprises contre des procédures illégales qu'était en train de suivre la commission... Après six séances de délibérations et plusieurs heures de débats qualifiés de «très animés», le Tribunal administratif a rendu hier trois jugements d'annulation à l'encontre de la commission de tri, chargée du dépouillement des candidatures pour la future Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie). Selon Ahmed Soueb, juge administratif, les 15 juges les plus haut gradés et les plus âgés, qui constituent la plénière du Tribunal administratif, ont rendu un verdict "révolutionnaire, qui consacre l'Etat de droit". Il affirme que le Tribunal administratif s'est attribué, en l'absence d'institutions, le rôle de contrôler la constitutionnalité des lois, par voie d'exception" «La plénière a décidé d'empêcher, en tant que tribunal, qu'une loi soit appliquée sans que les formalités d'entrée en vigueur ne soient respectées (promulgation par le président de la république et publication au Journal officiel de la République tunisienne)", a-t-il déclaré. Par son verdict, le Tribunal administratif a décidé d'annuler la candidature d'une avocate qui a été active au sein du RCD dissous. "La preuve nous a été donnée par courrier émanant du secrétaire général du comité de coordination de Tunis, et adressé au secrétaire général du RCD, en date du 27/05/2010", explique le juge administratif, membre de la plénière. D'un autre côté, le tribunal a décidé l'annulation d'une candidature, "suite à une démarche de la commission de tri, qui a été jugée illégale" "La commission a mis sur un pied d'égalité deux critères distincts dans la grille de classement, l'un qui repose sur des critères objectifs, l'autre qui relève d'une appréciation arbitraire : chose qui est inadmissible", précise Ahmed Soueb, tout en précisant que la commission pourrait, à titre exceptionnel, faire valoir son appréciation, mais "toujours selon des critères objectifs". Interprétation extensive de la légalité A l'occasion de ses délibérations, le Tribunal administratif a rappelé qu'" il contrôle toute validation législative, d'autant plus qu'il n'est pas juge constitutionnel". "Nous nous interdisons d'appliquer des lois anticonstitutionnelles, dans le cas présent, celles qui sont en contradiction avec la loi sur l'organisation provisoire des pouvoirs publics", précise Ahmed Soueb. Professeur de droit constitutionnel, Salsabil Klibi abonde dans le même sens. Pour elle, la Tunisie vit une phase de transition démocratique où " les institutions sont amputées et aucune d'elles n'est en mesure d'assurer un équilibre des pouvoirs". "C'est d'autant plus grave qu'en période de construction d'une démocratie, il n'est pas normal qu'une force politique ou une coalition puisse monopoliser le droit de définir les règles du jeu sans contrepoids. Il est donc normal pour le Tribunal administratif d'user du droit qui est le sien, de faire respecter la légalité. Ici, compte tenu de la spécificité de la phase, le Tribunal administratif a interprété d'une manière extensive le principe de la légalité", estime-t-elle. La constitutionnaliste admet que le verdict du Tribunal administratif provoquera un retard du processus électoral, mais elle tient pour responsable l'Assemblée nationale constituante, qui a entrepris un travail biaisé en amont, et non le Tribunal administratif qui, lui, a statué en aval sur des questions procédurales. "Les juristes et les acteurs de la société civile ont mis en garde à plusieurs reprises contre des procédures illégales qu'était en train de suivre la commission, mais les députés n'ont pas voulu entendre raison. Aujourd'hui, nous subissons tous les conséquences de cette arrogance de l'ANC. Il faut que les Tunisiens comprennent que les prochaines élections revêtent une importance capitale, et qu'il est important que la structure qui veillera à leur tenue soit irréprochable. Il n'est pas question d'avoir des élections à n'importe quel prix", conclut-elle. Ahmed Soueb anticipe malgré tout la réaction de l'Assemblée nationale constituante, et prévient : "Si l'ANC décide de ne pas tenir compte du jugement d'un Tribunal administratif qui a arraché sa respectabilité sous Bourguiba et Ben Ali, alors je ne pourrai que citer les propos du calife Omar Ibn Khattab, qui disait qu'il n'est guère utile de prononcer un droit s'il ne peut être effectif".